(Je voyais tout de son visage, de son corps, froidement ; ses cils, l’ongle de son orteil, la minceur de ses sourcils, de ses lèvres, l’émail de ses yeux, tel grain de beauté, une façon d’étendre les doigts en fumant ; j’étais fasciné – la fascination n’étant en somme que l’extrémité du détachement – par cette sorte de figurine coloriée, faïencée, vitrifiée, où je pouvais lire, sans rien y comprendre, la cause de mon désir.) – Roland Barthes, « Le corps de l’autre », Fragments d’un discours amoureux, 1977
La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,
Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus ce que j’ai vécu
C’est que tes yeux ne m’ont pas toujours vu. – Paul Éluard, Capitale de la douleur, 1926
Je descendis dans le jardin, et me trouvai devant une admirable statue.
C’était bien une Vénus, et d’une merveilleuse beauté. Elle avait le haut du corps nu, comme les Anciens représentaient d’ordinaire les grandes divinités ; la main droite, levée à la hauteur du sein, était tournée, la paume en dedans, le pouce et les deux premiers doigts étendus, les deux autres, légèrement ployés. (…)
M. Alphonse me tira dans l’embrasure d’une fenêtre, et me dit en détournant les yeux :
« Vous allez vous moquer de moi… Mais je ne sais ce que j’ai… je suis ensorcelé ! le diable m’emporte ! » (…)
« Vous savez bien mon anneau ? poursuivit-il après un silence.
– Eh bien ! on l’a pris ?
– Non.
– En ce cas, vous l’avez ?
– Non… je… je ne puis l’ôter du doigt de cette diable de Vénus.
– Bon ! vous n’avez pas tiré assez fort.
– Si fait… Mais la Vénus… elle a serré le doigt. » – Prosper Mérimée, La Vénus d’Ille, 1835
La couronne formidable des rois
En s’appuyant de tout son poids
Sur ce masque de cire
Semblait broyer et mutiler
L’empire.
Le pâle émail des yeux usés
S’était fendu en agonies
Minuscules, mais infinies,
Sous les sourcils décomposés. – Émile Verhaeren, « Le masque », Les villes tentaculaires, 1895
Vêtue de pluie
Chaussée de terre
Coiffée de nuit
Garderais-tu cet éclat
Qui te bâillonne. – Paul Éluard, « Au bal Tabarin », Les Mains Libres, 1937
Je la voyais pour ainsi dire pour la première fois. Elle était toute recroquevillée et emmitouflée, la tête penchée, le manchon avec les mains sur le giron, les jambes serrées l’une contre l’autre, les talons en l’air. C’était sans forme, sans âge, sans vie presque, cela pouvait être une. vieille femme ou une petite fille. – Samuel Beckett, Premier amour, 1945
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