Il ne fait jamais nuit sur la mer de nos souvenirs. Quelque part, à l’ombre de la pluie qui danse, se tient un photographe qui peint le temps qui s’étire langoureusement. Loin de l’implacable métronome de l’éphémère, Stéphane Mahé nous propose ses ciels tendrement fanés sur lesquels naissent les rêves, ses paysages enfiévrés de solitude peuplés de résonances intimes, ses silhouettes atones hésitantes sur le bord d’un soir. Alors qu’une nuit semée d’étoiles s’épanche de toute son infinité sur un jour d’été ou que l’ombre d’un bois mystérieux se referme sur de frêles esquifs humains, nous entendons un murmure dans le poudroiement ivre de l’heure bleue : « j’ai laissé le spleen de nos amours s’asseoir sur mon cœur… le crépuscule de nos idylles n’est pas sans grâce… le vent amer séchera les larmes de mélancolie sur mes joues… demain est perdu dans les eaux moirées du souvenir… ».
Alors nous nous approchons, précautionneusement, à pas de loup, pour ne pas glisser dans l’abîme de la mémoire ou sombrer dans les chapelles ardentes de la nostalgie afin de nous faufiler dans ses petits théâtres précaires, parfois surréalistes, toujours poétiques. Et l’on est saisi d’une fugace ébriété de la raison. On pense à un mirage, une facétie de la raison, un évanouissement des sens. L’exil est intérieur, la parole sépia, les rêves vivants énamourés d’écume d’été aux cimes d’azur nous grisent l’esprit et ravivent notre vague à l’âme. Aurait-on oublié les clefs du bonheur sur le chemin de nos certitudes ? Nos méditations dénudent le silence. Une lenteur propre au songe nous envahit et chagrine notre humeur alors que l’on dévale à grandes enjambées les châteaux hantés du passé. Les tristes épousailles avec le réel ne sont pas pour tout de suite. On se surprend à jouer à cache-cache avec nos sentiments ; le vas et vient des vagues d’émotion meurt sur la sable chaud de nos émois. Nous voici saisis par la joie du feu d’artifice des colorations d’éther, par les reflets iridescents des flammes de soirs en fête, de l’espoir de retrouver les plaisirs perdus. Et l’horizon semble exalter cette soif d’infini à grandes volutes alors que toutes les chimères deviennent possibles.
Heureux, on court pieds nus sur un frêle rebord de pierre qui pousse sur l’abîme surplombant la mer. Un cerf-volant passe, libre, dans la brise. Il a rompu ses amarres. « Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers, Picoté par les blés, fouler l’herbe menue : Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds. Je laisserai le vent baigner ma tête nue » écrit Rimbaud. Le bonheur de photographier irradie. Alors, on contemple ce grain si particulier qui fait le cœur palpitant de l’image, poème somptueusement mélancolique, qui nous rappelle ces moments de tendresse, fragiles, sur lesquels plane toujours l’ombre du tragique. Délicat, Stéphane Mahé nous laisse à nos songes éveillés alors que le regard ne cesse de filer, par une fenêtre, par une porte, autant d’échappées vers la lumière… Vers un ailleurs..Ici… là-bas, où l’errance apparaît comme une quête photographique.
Alexandra Palka
Stéphane Mahé : Ici et Là-bas…Fugue mélancolique
du 14 octobre au 27 novembre 2021
Galerie L’Entrée des Artistes
25 rue des Tournelles, 75004 Paris