Un cheval ruant, un groupe de personnes entrelacées, certaines lasses, tandis que d’autres s’embrassent ou s’évanouissent, un mont culminant en arrière-plan… Non, nous ne sommes pas en train d’observer une peinture romantique du 17ème siècle, mais bien une œuvre d’Alex Prager, photographe et réalisatrice américaine de renom établie à Los Angeles. Si la composition dynamique et les visages expressifs se rapprochent de « La Liberté Guidant le Peuple » d’Eugène Delacroix ; nous sommes vites ramenés dans une autre réalité. Entre objets triviaux corde à linge, soutiens-gorges, globe terrestre, panier en osier – et Americana qu’évoquent le drapeau américain ou le chapeau de cowboy, c’est bien dans notre époque contemporaine que nous plonge Alex Prager avec « Western Mechanics ».
Titre de cette photographie, mais également de sa première exposition à Séoul, Western Mechanics est sa huitième avec la galerie Lehmann Maupin. Du 9 mai au 22 juin 2024, elle présente dans le quartier branché d’Itaewon un nouveau corpus d’œuvres indépendantes : une petite dizaine de vignettes riches et émotionnellement chargées. De la plaine, à la plage, à la rue, elle embarque le visiteur dans ses scènes que l’on pense presque avoir vécues ou rêvés, aux frontières du réalisme et de l’imaginaire.
Ayant grandi sur les plateaux de cinéma, cette ancienne enfant-actrice a toujours été fasciné par le 7ème art et la panoplie de talents qui le composent. Styliste, réalisateur, scénographe… à les côtoyer elle est parvenue à tous les incarner et orchestrer dans chacune de ses photographies une impression de plan de grand film hollywoodien. Ses scènes sont riches en symboles, objets et personnages… On en compte par exemple huit dans California ! Huit corps, huit vies, huit destinées qui sont autant de points d’entrées et d’histoires qui s’entremêlent pour créer une force narrative que l’artiste nous laisse libres d’interpréter.
Si dans cette exposition il n’y a pas de fil conducteur linéaire, on constate, néanmoins que le motif du temps suspensdu revient perpétuellement. L’impression que le film est mis sur pause. Une femme sortant précipitamment d’un immeuble, un couple marchant sous la pluie d’un pas déterminé, une femme en suspension dans les airs… Comme l’explique l’artiste dans une interview à Widewalls « ces moments intermédiaires de la vie nous permettent de toucher à notre existence métaphysique. Peu importe le nombre de fois où l’on vous dit que ce que vous voyez est sans surprise, il existe un tout autre monde, invisible à l’œil nu, qui existe parallèlement au monde physique, et qui est tout aussi susceptible de changer le cours de votre vie. » Si la société tend à nier l’existence de ce monde surréel et magique, ce qui limite notre capacité à interagir avec lui, Alex Prager s’est donné une mission : celle de rappeler aux gens leur véritable nature en leur montrant l’existence de ces deux mondes.
Au-delà de la beauté et de l’aspect cinématographique de ses œuvres, c’est en effet quelque chose de plus profond qui anime les photographies d’Alex Prager. Par ses mises en scène, elle interroge les fondements mêmes de la société contemporaine, laissant les spectateurs dans un état de questionnement perpétuel. La femme en suspension dans Hollywood Day, tombe-t-elle ou est-elle aspirée vers le ciel ? Son utilisation des archétypes, des objets du quotidien, de l’humour et de l’allégorie, lui permettent d’explorer des sujets sombres et complexes comme notre rapport au temps, à la mémoire les identités collectives et individuelles et l’impact de la technologie sur la société. « Western Mecanics », une expression qui tout en traitant le sujet de l’Ouest des États Unis – ce qu’il était autrefois, ce qu’il est devenu aujourd’hui Cela sous-tend également le conflit entre l’homme et l’emprise de ces dernières sur notre société. Qu’en pense-t-on au pays de la robotique ?
Marine Aubenas
Alex Prager : Western Mechanics
9 mai – 22 juin 2024
Lehmann Maupin
213 Itaewon-ro, Yongsan District
Seoul, South Korea
https://www.lehmannmaupin.com/exhibitions/alex-prager9