La Galerie des Minimes donne à voir le Kyoto poétique du photographe japonais Kai Fusayoshi.
Il est encore des figures photographiques japonaises méconnues en France, et ce malgré la fascination qu’exerce la culture nipponne, les découvertes récentes par le biais d’expositions et d’ouvrages sur ce territoire de la photographie, et la passion de commissaires et historiens dévoués. Kai Fuyasohi peut être considéré comme un oiseau rare, un de ceux dont l’œuvre reste à explorer avec la joie des découvertes à venir.
Ce « photographe -poète », tel qu’il est décrit par les galeristes Olga du Saillant et Felix Cholet, naît en 1949 à Oita (Kyushu). Sa sœur lui confie son premier appareil photographique pour le soutirer à la garde d’un élevage de poules. Il entre à l’Université de Doshisha en 1968 qu’il quitte un an plus tard, déçue d’études onéreuses et peu instructives. Le reste de son temps est dédié à la photographie, qu’il pratique entre plusieurs boulots alimentaires.
En 1972, Kai Fusayoshi fonde le café Honyarado où se pressent artistes, écrivains, militants, acteurs de la contre-culture japonaise qui mâtine le Japon d’après-Guerre aux cultures protestataires occidentales. Deux ans plus tard à Tokyo, Araki fonde avec avec Masahisa Fukase, Shōmei Tōmatsu, Eikō Hosoe et Daidō Moriyama l’école de photographie Workshop — lieu qui donna son nom à la revue éponyme majeure dans la constitution d’une esthétique japonaise érotique, licencieuse comme poétique.
Si Kai Fusayoshi était de ses propres mots un indépendant, et s’il rappelle n’avoir « jamais participé à des ateliers avec des photographes de renom », détaille l’artiste sur cette époque, il fut toutefois proche de certains photographes de cette époque. « J’ai entretenu une correspondance occasionnelle avec Sadayoshi Fukuda, mentor de Kineo Kuwabara et Hiroo Kikai, et avec le critique photo Kouen Shigemori. Plus tard, Araki m’a envoyé un livre de photos publié à ses frais. Depuis notre collaboration au magazine « Taiyō » avec Shomei Tomatsu en 1983, nous avons entretenu une relation étroite jusqu’à son décès ».
Le café Honyarado devient l’âme de la ville. Le photographe y tient chaque jour le bar, y prépare le curry et expose modestement ses tirages. « C’était l’âme de la ville, affirme-t-il, Honyarado était bien plus qu’un simple café, c’était aussi une imprimerie, une bibliothèque, une salle de concert, et même une école de pensée. On y accueillait des personnes engagées et des prisonniers politiques du monde entier », raconte-t-il, à l’image du chanteur Nobuyasu Okabayashi – connu sous le nom de « Dieu du folk » – ainsi que les poètes Yuzuru Katagiri, Kazuko Shiraishi, Shuntaro Tanikawa et Kenneth Rexroth, mentor d’Allen Ginsberg, qui organisaient régulièrement des lectures de poésie. Les philosophes Syunsuke Tsurumi, le sociologue Rokuro Hidaka et le critique Takeo Kuwabara étaient également des visiteurs assidus.
Le café passe plusieurs décennies avant d’être ravagé en 2015 dans un incendie, vraisemblablement criminel. Le photographe perd la presque entièreté de son œuvre, soit 2 millions de négatifs. « Toute ma vie était dedans — mes articles, livres, clichés ; j’ai tout perdu. Plus de 2 millions de tirages sont partis dans les flammes, je ne savais plus quoi faire. J’ai failli en mourir ».
Il subsiste quelques rares négatifs et tirages stockés en dehors du café et une production livresque conséquente, Kai Fusayoshi ayant comme bon nombre de photographes japonais une culture du livre d’artiste prééminente pour diffuser son œuvre, pour y montrer ses dernières séries, et ainsi jouer des formats et papiers.
« De nombreux tirages photographiques brûlés ont été donnés à des connaissances, dont un artiste suisse contemporain, tandis que d’autres sont encore conservés à la maison. Environ 10 000 pellicules négatives ont survécu à l’incendie, intactes. J’ai l’intention de les vérifier soigneusement et, si possible, de créer une installation pour les archiver à l’avenir », promet Kai Fusayoshi.
La Galerie des Minimes expose dans un accrochage resserré et joyeux ses tirages sauvés du drame. L’œuvre de Kai Fusayoshi révèle l’humour d’un regard épris de tendresse pour la rue immédiate, participant à forger un nouvel imaginaire de la ville historique comme du Japon d’après-guerre.
La ville sous ses yeux est l’étreinte d’une nuit dans un intérieur poisseux, une poitrine charnue découverte effrontée sous un pont, un visage tendu de mystère hors du brouillard. Ses prises de vues sont distantes, comme empreintes d’une forme d’amusement qui tranche avec le rapprochement au sujet de l’école tokyoïte. Elles permettent de saisir une scène extérieure dans son large ensemble, le regard baladé sur une multitude d’instants primordiaux (Ukiyo).
Il demeure ce drame, la perte d’une œuvre qui ne peut que souligner le désir à en voir davantage. Espérer que des tirages ressortent de je-ne-sais quels tréfonds, de je-ne-sais quels tiroirs. Espérer, et se réjouir surtout de cette exposition qui donne à voir un œil distingué, amusé d’être au monde.
Kai Fusayoshi — From Honyarado
Du 2 novembre au 21 décembre 2023
Galerie des Minimes
13, rue des Minimes 75003, Paris
galerieminimes.com