Jusqu’au 21 décembre, la Galerie David Guiraud présente la troisième exposition prévue dans le cadre de son projet sur le corps masculin dans l’histoire de la photographie.
Elle propose, à cette occasion, de plonger dans l’univers de la photographie physique, un phénomène social et culturel immense mais assez mal connu. Il recèle pourtant de nombreux photographes talentueux, pionniers d’un mouvement artistique unique, qui célèbre l’esthétique du corps masculin.
La photographie physique est un mouvement qui s’affirme principalement aux Etats-Unis mais qui est aussi fortement présent en Europe et au Japon. Son apparition est due à la conjonction de deux phénomènes : l’intérêt croissant porté pour la culture physique depuis le 19eme siecle et l’explosion de la presse masculine illustrée au tournant du 20eme siecle.
Les magazines pour hommes
Le développement du magazine illustré au 19e et au début du 20e siècle tient sur le constat que l’image fait vendre. Dans le domaine de la forme physique et de la santé, apparait dès 1908 aux Etats-Unis, le magazine « Physical Culture » qui célèbre la culture physique et le muscle à travers de nombreuses photographies d’athlètes.
Dans les années 1930, avec l’avènement du Bodybuilding, les photographes (comme Edwin Townsend avec le culturiste Tony Sansone) vont chercher à mettre en valeur un corps parfaitement musclé et harmonieux, dans la continuité de ce que la force et le muscle avaient suscité comme interet, comme fantasme et comme admiration avec Eugene Sandow.
L’intérêt pour le culturisme s’est généralisé et avec lui l’image de l’homme nu, mais les magazines ne s’intéressent à ces hommes que pour leurs muscles et non pas pour leur beauté ou leur charme.
Le Physique Art
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Physique Art fait son apparition. Ce mouvement est issu du monde du culturisme et du bodybuilding mais aussi du spectacle. Il annonce les premiers photographes qui vont prendre vraiment plaisir à réaliser ce type d’images. Ces artistes cherchent à rendre le corps masculin encore plus beau et attractif car ils le connaissent et l’apprecient. Ils ne veulent plus rendre compte froidement d’une esthétique parfaite, mais la sublimer et la magnifier.
Un phénomène se produit, un peu partout au Etats-Unis, semblable au cas de Bob Mizer, installé en Californie, qui crée en 1948 l’agence de photographie « American Model Guild » (AMG). Très rapidement il édite le magazine « Physique Pictorial » pour diffuser ses images et au début des années 1950, son magazine est disponible sur presque tout le territoire americain. Beaucoup d’autres magazines apparaissent un peu partout à cette époque (Vim, Trim, Grecian Guild Pictorial, etc …).
Ces magazines créent une véritable rupture car ils ne veulent plus trouver une raison morale et socialement acceptable pour montrer des photographies d’athlètes, qui posent rarement nu, mais qui s’offrent tout de même à l’objectif. Les images sont proposées sans aucunes autre raison que la beauté du modèle et le plaisir de le regarder.
Du muscle à la culture
Le contenu de ces nouveaux magazines affiche clairement, pour la première fois depuis des siècles, l’envie de voir de beaux hommes dénudés, sans hypocrisie et sans justification. La célébration directe du corps masculin revient pour les auteurs des images et les éditeurs des magazines, ainsi que pour les lecteurs, à révéler leurs attirances, ce qui n’est pas sans risque dans l’Amérique des années 1950.
Quand l’état parvient à poursuivre un photographe, un éditeur ou n’importe quel individu de la société civile pour homosexualité, il est quasiment assuré de gagner son procès car l’homosexualité constitue un délit. L’interdiction fédérale d’envoyer des nus frontaux par le Post Office donne l’occasion aux autorités de perquisitionner les studios des photographes, de confisquer des négatifs, des tirages et d’emprisonner leurs auteurs.
On prend mieux la mesure du risque encouru par les photographes pour réaliser un nu dans les années 1940 et 1950, ainsi que leur volonté et leur courage. La raison de ces multiples attaques est que ces magazines sont en fait les premiers magazines homosexuels et plus que cela, la seule institution et la seule culture gay dans les années 50 et le début des années 60 aux Etats-Unis.
De l’obscénité
Dans l’après-guerre en Amérique, un homosexuel n’existe pas en tant que tel. Les autorités considèrent qu’il y a des pratiques homosexuelles, commises par des hommes dépravés mais héterosexuels par ailleurs. L’homosexualité est illégale mais elle est également invisible car inexistante socialement.
Pourtant, en 1893, Richard F. Von Krafft-Ebing invente le terme homosexuel qu’il ne considère pas comme une activité, mais comme faisant partie de la personnalité d’un individu. Et en 1948, Alfred Kinsey publie aux Etats-Unis sa fameuse étude sur les comportements sexuels, dans laquelle il dévoile qu’un tier des hommes adultes auraient eu un rapport homosexuel dans leur vie.
En 1958, un procès contre Chuck Renslow, le directeur de Kris Studio, est intenté par le Post Office (la loi interdit l’envoie d’une photo de nu par la poste).
Face aux attaques contre la nudité, Renslow ne tente pas de prouver que ses photos sont des œuvres d’art, comme le font ses confrères. Il tente plutôt de montrer que ses images ne sont pas pornographiques en défendant l’idée fondamentale que le corps humain n’est pas obscène.
Il prend alors à témoins les multiples hommes nus en cariatides décorant le Palais de Justice dans lequel se tient son procès. Une decision en sa faveur est prise par la Cour Supreme des Etats-Unis en 1959 mais le nu intégral et le nu frontal restent prohibés.
Il faut attendre 1965 et les procès contre les magazines Butch et Drum Magazine, pour que la Cour Supreme réaffirme que le corps masculin n’est pas obscène et mette fin à toute censure sur ce sujet.
David Guiraud.
Bibliographie : Beefcake, F. Valentine Hoover III, Taschen, 1995
Les œuvres
La galerie présente un panorama des principaux photographes rencontrés durant la période 1930/1960 avec un intérêt particulier porté sur Al Urban et Pat Milo. L’exposition propose des tirages originaux d’époque avec une sélection de ces rares nus dont la production pouvait valoir la prison. Certaines images montrent des athlètes dont le sexe a été dissimulé par de l’encre pour pouvoir être envoyé par le Post Office.
Les artistes : Al Urban, Bob Mizer (AMG – American Model Guild), Dave Martin, Douglass Juleff (Douglas of Detroit), Earl Forbes, Chuck Renslow (Kris Studio), Lon Hannagan (Lon of New York), Mel Roberts, Pat Milo, Quaintance, Ralph Kelly, Spartan of Hollywood, Studio Arax, Tamotsu Yato, Don Whitman (WPG – Western Photography Guild).
Galerie David Guiraud
5, rue du Perche – 75003 Paris – 01 42 71 78 62
Mardi / Samedi – 14h30 / 19h
www.galerie-david-guiraud.com