En marge de l’exposition Territoires et paysages présentée à la Galerie d’architecture de Paris jusqu’au 27 mai, deux photographes d’architecture Québécois les plus réputés au Canada qui collaborent avec l’architecte Pierre Thibault depuis plusieurs années se confient à propos des liens qu’ils entretiennent avec l’architecture et les architectes comme Pierre Thibault, abordent de leur approche et ce qui nourrit leur créativité.
Photographier l’architecture, par Alain Laforest
Avoir la chance de travailler sur le long terme avec un architecte permet une compréhension en profondeur de son travail.
C’est le très grand plaisir que j’ai eu avec l’architecte Pierre Thibault, au fil de 20 ans de collaboration et d’amitié et c’est ce que je souhaite à tous les photographes d’architecture: une longue collaboration avec un excellent architecte.
Voir le germe d’une idée se développer au long des années et des projets, et devenir une signature forte de son expression architecturale, avoir pu photographier cette évolution dans ses différentes phases, fournit un guide dans l’approche photographique et donne une ligne directrice à suivre. Dans le cas du travail de Pierre Thibault, c’est l’importance de plus en plus grande de la nature, du territoire, de la relation de l’architecture avec son environnement qui m’ont imposé une approche très large qui part du lointain, pour focaliser vers le sujet. Il s’agit de découvrir l’architecture nichée dans son cadre large, la plupart du temps en milieu naturel.
Dans le climat et la géographie du Québec, cela peut devenir un sport extrême ! Photographier une installation de glace, de nuit, par moins 28 degrés Celsius et en grand format 4 x 5 (pendant que l’architecte et sa petite famille m’attendaient tranquillement au coin du feu) ; m’attacher à un arbre, au bout d’une échelle, pour réussir à capter une maison perchée cachée par les arbres… la pratique photo n’est pas toujours facile.
Évidemment ces acrobaties sont plutôt exceptionnelles, mais il faut tout de même composer avec la lumière, les autos, camions, poteaux et autres laideurs urbaines et les contraintes temporelles.
Il faut également savoir développer sa sensibilité architecturale avec un prix à payer: une profonde aversion pour les horreurs qui s’implantent un peu partout, dénuées de toute vision et qualité architecturale. En contrepartie, il y a des moments de pure euphorie lors de prises de vues où l’architecture et la photographie se rencontrent pour générer de magnifiques images, des moments où l’émotion photographique se déclenche en même temps que l’obturateur!
Personnellement j’ai eu la chance de travailler au Centre Canadien d’Architecture (important musée d’architecture et centre de recherche international basé à Montréal) pendant plus de trente ans. Dans le service photographique que je dirigeais, j’ai vu passer des milliers de documents d’architecture, livres anciens, plans, dessins, maquettes et photographies de tous les pays et de toutes les époques du 15 ieme siècle à maintenant. La fréquentation de ces œuvres d’une grande importance historique et d’une grande qualité esthétique a certainement participé à développer ma compréhension de l’architecture et a exacerbé ma sensibilité au cadre bâti. L’œil doit se nourrir pour se développer.
Il faut souligner aussi l’importance de la recherche personnelle qui nourrit l’acuité visuelle du photographe. Au-delà du simple contrat commercial, elle permet d’entretenir sa sensibilité artistique dans l’ensemble de sa pratique et de se garder neuf pour chaque photo à faire.
La photographie d’architecture va bien au-delà de la simple représentation d’un bâtiment. La documentation photographique actuelle ou historique, qu’elle soit une commande large comme celles parfois données par les gouvernements ou les villes, ou par regroupement de photos existantes, permet une meilleure compréhension du monde dans lequel nous vivons. Comme le disait si bien l’écrivain québécois Jacques Ferron, l’architecture exprime une civilisation.
Maxime Brouillet, photographe d’architecture
Questionner ce qui est donné au regard, cela signifie se confronter non seulement à une réalité facilement identifiable, mais aussi « la pensée, la mémoire, l’imagination, le contenu fantastique ou aliéné. » Cette idée émane de Luigi Ghirri.
Le photographe aborde les projets dans une rêverie proche de la déambulation, à la découverte de l’espace. Conscient du privilège qu’il a de visiter des lieux d’exceptions au travers le Canada, il tente de saisir tous les angles, toutes les postures de l’observation possible, pour les offrir aux regards curieux. De ces mouvements, l’interprète du monument photographié émerge.
Les projets de l’Atelier Pierre Thibault, notamment, lui ont procuré maintes opportunités d’explorer des espaces en relation avec la nature. Les qualités changeantes observables dirigent les choix du photographe, selon la saison, le paysage offert, la présence des occupants ou des concepteurs. Cet amoncellement d’expériences au travers la multitudes des paysages possibles qu’offre le Québec fait écho aux mémoires de voyages. C’est l’intimité d’un lieu, son atmosphère, qui dialogue avec l’observateur. Mais cette atmosphère n’est pas là à attendre, elle peut être provoquée, échafaudée lors de d’autres collaborations.
Il est essentiel de mentionner que pour transposer toutes ces couches de perceptions, le temps est impératif. Le temps d’échanger avec les acteurs du projet, le temps de se promener, même en chantier, le temps de partager des doutes, le temps des attentes, le temps entre les saisons, le temps de jouer, le temps de placer, le temps de déplacer, le temps de voir, le temps de monter, le temps de descendre, le temps d’un éclairci, le temps d’une pluie, le temps de s’éloigner et le temps de cultiver une connivence avec les architectes. C’est pourquoi les mandats ne sont pas des commandes, mais des rebondissements dans un long voyage.
Maxime Brouillet demeure très curieux à cette question qui le taraude: la photographie engendre-t-elle de l’architecture? À suivre…
https://www.instagram.com/maximebrouillet
Territoires et Paysages
du 15 avril au 27 mai 2023
Galerie d’architecture
11 Rue des Blancs Manteaux, 75004 Paris, France
Ouvert du mardi au samedi de 11h à 19h
http://www.galerie-architecture.fr
Conférence de Pierre Thibault au pavillon de l’Arsenal le 9 mai à 19 h