La galerie berlinoise expose une large sélection de photographies de l’artiste allemand hétéroclite et engagé, dont la plupart réalisées ces dernières années. Formes, textures, sujets… Des images variées qui jouent avec la matérialité du monde qui nous entoure, invitant à observer autrement, plus profondément.
La peau immaculée d’un corps nu, des tas de feuilles empilées, un paysage urbain new-yorkais, un portrait de Jodie Foster, une sculpture de choux de Bruxelles ou encore un rectangle de lumière bicolore… Qui pourrait définir le style de Wolfgang Tillmans, si ce n’est un inqualifiable talent à faire parler les images ? Alors qu’il sort son second album de musique, Build from Here, Tillmans révèle Summer Storm Drops Freeze Frame, reprenant le titre d’une image capturée depuis son bureau à Berlin. La rue pavée à travers une vitre où une multitude de petites gouttelettes de pluies gelées forment à leur tour de nouvelles fenêtres et de nouvelles façons d’appréhender cette même vue.
Les photographies de Tillmans semblent défier en permanence la fonction et la représentation des objets, qu’il s’agisse d’un filtre en silicone au fond d’un urinoir ou d’eau potable en sachets à Lagos. Et qu’est-ce qu’un container coincé entre les quatre bords et la bi-dimensionnalité d’une image, si ce n’est une masse visuelle ? Le paysage industriel est un terrain de jeu pour le photographe qui semble y déceler un matériel pictural particulièrement propice à la distorsion, avec tout ce que cela implique au regard des sensations. Les structures qui tapissent le paysage urbain sont alors redéfinies. Un leitmotiv illustrant également ses natures mortes et cristallisé par cette sculpture de choux de Bruxelles qui regarde, ironiquement, les gratte-ciel de San Francisco. Une mise en scène qui parvient à créer un trouble cognitif entre le sujet et son environnement grâce à un décalage sémantique caractéristique.
Diversité de sujets abordés mais également variété de formats. Les expositions de Wolfgang Tillmans sont toujours des expériences à part entière où l’image se trouve partout là où l’on ne la cherche pas, comme cette petite abeille esseulée au-dessus d’une porte. Et le choix de l’encadrement, toujours supervisé par l’artiste lui-même, fait preuve d’une désinvolture minutieuse : de grandes photographies (plus de 4m sur 2 pour la plus grande), tour à tour épinglées au mur ou dans un cadre en alu blanc, allant jusqu’à de très petits formats simplement scotchés au mur. On déambule alors et l’on se retrouve dans une pièce où les clichés dénotent par leur genre : l’étoile Sirius observée par un télescope défocalisé en 2023 aux côtés d’une photographie photocopiée et recadrée d’un plongeon datant de 1987, parmi les rares images anciennes présentées, témoignent, entre autres, d’une variété des moyens de reproduction maniés par Tillmans.
Si les accrochages réunissent une majeure partie de photographies réalisées les dernières années, ses photographies pourraient également être rassemblées sous ces thèmes qu’il réinterprète au fil des années. C’est ainsi que l’on retrouve le nu masculin, des natures mortes, des portraits de son entourage – personnalités (dont Jodie Foster, lumineuse en t-shirt jaune et fard à paupière vert électrique) comme inconnus, des villes et leurs rues, à New-York ou à Londres; en Mongolie ou en Côte d’Ivoire. Le tout, aux côtés de réalisations plus expérimentales, comme Lighter où les structures de lumières apportent un insaisissable relief.
Une installation ponctue l’exposition : des dépliants mêlant mots et images, Zur Sprache Kommen ( « Venir à la parole »). Et c’est peut-être ici, précisément, que l’on touche du doigt comment l’artiste et activiste pense et lie ses images entre elles : dessiner des visions, des perspectives et des pensées, sans jamais se satisfaire d’un langage figé.
Noémie de Bellaigue
Wolfgang Tillmans à la Galerie Buchholz jusqu’au 13 juillet 2024.
Galerie Buchholz
Fasanenstraße 30,
10719 Berlin
