De l’Ukraine à l’Afghanistan en passant par la Roumanie, la galerie berlinoise présente plusieurs séries de la jeune photographe allemande réalisées au cours des dernières années. Derrière la précision des sujets abordés et l’éloquence de certaines images, transperce l’ambivalence de notre époque.
Le regard usé de ce pompier enrôlé, noyé dans les nuances de kaki des uniformes, rappelle à quel point la guerre est indifférente aux identités de chacun. Dès l’invasion de la Russie en février 2022, Johanna-Maria Fritz, comme de nombreux journalistes et photographes de sa génération, s’est rendue en Ukraine pour documenter assidûment les effets de ce conflit sur la population. De ces scènes profondes et silencieuses, capturées avec des couleurs pâles, semble se dégager un état de flottement permanent. Fritz saisit les peurs, les pertes et les migrations tout en parvenant à rester à sa place dans cette guerre sur-médiatisée.
Avant cela, en octobre 2021, Johanna-Maria Fritz comptait parmi les quelques-uns à photographier les Talibans, peu de temps après la reprise du pouvoir en Afghanistan. L’esthétique délicate de ces portraits réalisés sur fond pastel en moyen-format tranche avec la réalité brutale qui règne hors de ces clichés. Si nous sommes amenés à réfléchir à l’intention, il n’en demeure que Fritz parvient à raconter quelque chose de ces hommes, aussi terrible soit-il.
Mais ce qui définit davantage la pratique photographique de Johanna-Maria Fritz, c’est cette capacité de montrer autre chose. En Afghanistan, la photographe s’est intéressée à ces jeunes femmes pour lesquelles le tissage est devenu un ultime refuge dans ce pays où, il n’y a pas si longtemps, elles avaient encore accès aux bancs de l’école. Des images, à la fois intimes et douces, qui rendent hommage à leurs sujets sans les dévoiler.
Parmi ses séries marquantes également, Daughters of Magic réalisée entre 2019 et 2020 sur un groupe de sorcières en Roumanie. Fritz a rejoint cette communauté de magiciennes dans leur château pour documenter leur vie empreinte de mysticisme, où la sorcellerie embaume le quotidien. Ce travail fait notamment écho avec les reportages que Fritz mène depuis plus de dix ans sur l’univers si singulier du cirque. Depuis Sirkus Islands, sur le seul et unique cirque d’Islande, Fritz s’est laissé guider par cette passion qu’elle voue pour ces clowns et acrobates. En partant à leur rencontre dans des pays où leur présence est des plus insoupçonnées – Afghanistan, Daghestan, Inde, Indonésie, Iran, Sénégal ou Palestine, Fritz pousse ici encore la porte de microcosmes merveilleux sur fonds souvent faits de misère et d’injustice. Réunies sous le titre Like a bird – en référence à la phrase d’un jeune acrobate à Gaza pour décrire son sentiment lors d’une représentation, les photographies solaires de ces équilibristes incarnent une liberté particulière, peut-être parce qu’il s’agit là d’une liberté en permanence menacée.
La juxtaposition de ces travaux, avec tous les contrastes qui en découlent, semble bien illustrer un temps cadencé par les drames mais également subtilement embrassé par la magie, quelquefois.
Noémie de Bellaigue
Johanna-Maria Fritz à ARTCO jusqu’au 14 avril 2023.
Galerie ARTCO Berlin
Frobenstraße 1
10783 Berlin
https://www.artco-gallery.com/
