La Fundación MAPFRE présente à Madrid la première rétrospective d’envergure consacrée à la photographe japonaise Sakiko Nomura, révélant une œuvre d’une sensibilité rare.
Paysages nocturnes, corps sensuels, fleurs fanées, scènes urbaines ou d’intérieur… dans la pénombre de la salle d’exposition, les clichés de Sakiko Nomura émergent comme un mirage, une apparition fugace et mystérieuse. Si on l’associe souvent à Nobuyoshi Araki avec qui elle a travaillé pendant plusieurs années, la photographe japonaise a développé son propre langage visuel, une œuvre sensible et introspective dont la Fondation MAPFRE a su rendre toute la puissance. L’exposition a été pensée à partir de son immense production bibliographique, elle qui a publié plus de quarante livres.
Présence presque féline, observatrice discrète mais alerte, Sakiko Nomura s’efface pour capturer les émotions du monde. En ouverture de l’exposition, sa série Night Flight est réalisée à l’aide d’un appareil minuscule, utilisé par les espions. Cette démarche s’inscrit dans sa volonté de « regarder le monde à travers la petite lucarne », un besoin de « se faire tout petite, comme un murmure qui créerait un lien particulier entre intime et anonyme au sein même de la démarche photographique. » Plus loin dialoguent des images de fleurs, sémillantes ou au contraire fanées, vivantes ou parfois artificielles. Ces bouquets photographiés sur des tombes la fascinent pour le point de rencontre qu’ils constituent entre le monde des vivants et celui des morts ainsi que les sentiments qui ont été placés dans cette offrande aux défunts.
L’émotion est le fil rouge de sa pratique. Après deux ensembles placés sous le signe de la couleur, le visiteur pénètre dans le « monde en noir et blanc » de la photographe. Dans ce qui constitue peut-être la plus belle salle de l’exposition, des images aux formats variés défilent pour nous livrer une histoire intime et sensuelle construite à partir de trois livres emblématiques de la photographe : Black Darkness (2008), NUDE / A ROOM / FLOWERS (2012) et Fate in spring (2020). Sur les murs, les scènes se mêlent pour ne faire plus qu’une. Le sujet n’a que peu d’importance pour Sakiko Nomura qui s’attache surtout à saisir des émotions dont elle fait dialoguer les intensités. L’enterrement d’un de ses premiers modèles, les cendres des ossements de sa grand-mère, les vagues venues se rompre devant chez elle… Ces clichés sont reliés par une « linéarité de l’émotion ». Et lorsque, sur invitation de la Fondation MAPFRE, elle passe plusieurs semaines à Grenade pour réaliser des images, peu d’indices laissent deviner leur géographie. Plutôt qu’une fenêtre sur le monde, c’est son imaginaire que son œuvre nous laisse entrevoir.
Sa manière d’observer les nus masculins s’inscrit dans cette approche introspective. Bien qu’elle ait constitué une petite révolution dans le monde de la photographie japonaise, plutôt coutumier des courbes féminines observées à travers l’objectif masculin, Sakiko Nomura affirme ne pas s’intéresser à la question du genre dans son rapport au modèle. À nouveau, plutôt qu’une apparence, elle est attirée par l’émotion qui émane de la connexion entre deux êtres au moment de la prise de vue, une rencontre « de l’esprit et des âmes », qu’elle veut éphémère, de l’ordre de l’instant. Les séances de pose se passent le plus souvent dans des chambres d’hôtel, propices à cette évanescence.
La fugacité du moment, les flous de bougé si chers à la photographe, autant que ses solarisations avec lesquelles elle revisite ses archives : l’approche de Sakiko Nomura est une ode à l’imperfection et aux accidents. Quant à sa manière compulsive de photographier, de mitrailler tout ce qui l’entoure, elle est aussi un moyen de mettre le réel à distance pour ensuite le retrouver dans le monde de l’esprit et des émotions. Lorsqu’elle travaille ses tirages, la photographe se fie à sa mémoire, au souvenir de la scène, plutôt qu’à la réalité de ce qu’elle a capturé. Les images éthérées qui en résultent invoquent des ressentis. Elles font l’effet d’un rêve nous revenant doucement à l’esprit… Plongés dans les rêves de Sakiko Nomura, on voudrait ne jamais se réveiller.
Zoé Isle de Beauchaine
Sakiko Nomura.Tender Is the Night
Du 6 février au 11 mai 2025
Fundación MAPFRE
Paseo de Recoletos, 23. Madrid
Sakiko Nomura est représentée par la galerie Écho 119 à Paris et Akio Nagasawa Gallery au Japon.
www.galerieecho119.com
www.akionagasawa.com