Cogitations Mensuelles de Thierry Maindrault
Nous sommes déjà dans le couloir d’arrivée de cette année 2024, année de treize lunes, qui dans son ensemble ne restera pas dans les mémoires comme celle d’un grand millésime, particulièrement pour la photographie. Ce qui peut être très positif si nous considérons que cela ne saurait pas être pire. L’année à venir sera donc certainement bien meilleure.
En attendant, je ne peux résister au partage, avec nos collègues actuellement au plus bas dans leurs finances, de ces dernières informations qui m’ont fait sursauter. Alors qu’il ne reste plus à de nombreux collègues survivants (privés ou éloignés de leurs droits sur leur travail) que la vente de quelques images, souvent pour survivre, j’ai beaucoup apprécié la sollicitation amicale et promotionnelle des ayants droits d’un très grand photographe qui nous a quitté.
« X… Black Days … du samedi 30 novembre au lundi 02 décembre minuit, profitez de -30% (200€ au lieu de 300€) sur un tirage (format 18x24cm) d’une photographie… (cela concerne trois images différentes au choix)
Ce qui rend chaque photographie unique :
Tirage argentique réalisé à l’agrandisseur à partir du négatif original.
Édition limitée à 200 exemplaires (par image).
Authentifiée par les signatures des ayants droit et du tireur.
Équipée d’une puce sécurisée, garantissant leur unicité et leur valeur. »
Incroyable, pour mémoire, ce que nul photographe (et c’est valable pour les ayants droits) n’est censé ignorer, lorsque l’on parle bien de 600 exemplaires pour trois négatifs.
« … un tirage est dit original, à condition d’avoir été réalisé par le photographe en personne ou sous son contrôle effectif, et que le nombre de tirages est strictement limité à 30 exemplaires au maximum, tous formats, toutes couleurs et tous supports confondus. Seul le contrôle intermédiaire du tirage par l’auteur photographe, avec apposition réelle de sa signature de son vivant et avec sa numérotation réelle, permettra au tirage vendu d’être considéré comme un original ».
En sus, cela ne signifie nullement que l’œuvre elle-même puisse être d’office considérée comme une œuvre originale.
Comment est-il possible de galvauder à ce point le travail d’un photographe renommé, de briser le marché des professionnels et de porter un préjudice certain (par assimilation et dévalorisation) aux créateurs scrupuleux et honnêtes ? Comment évincer tous ces gagne-gros qui ruinent la profession en vendant à prix d’or (même sous un prétexte promotionnel avec des authentifications marketing) des cartes postales et des posters de grandes surfaces. Masochisme professionnel !
Autre petite surprise venue de la plus célèbre institution photographique en cette fin d’année.
« Les Rencontres proposent également des forfaits toutes expositions à tarif réduit pour la prochaine édition du festival ! *
Pour 2025, offrez(vous) Arles en cadeau ! »
Décidément, l’image photographique, tout comme l’image de la Photographie, se brade à tour de bras. Arles, avec ses RIP, la manifestation photographique au budget le plus important, choyée par une ribambelle de riches mécènes qui s’impliquent jusque dans les choix artistiques, serait en manque de trésorerie ! Diantre ! Comme s’il serait déjà certain que nous serons tous présents en juillet 2025, sans même connaître la programmation géniale, qui ne nous sera proposée que dans quelques mois. Achetons vite, avant leur épuisement, tous ces pass onéreux. Pourquoi ne pas en profiter pour prendre ceux de 2026 (voire 2027) ? Avec une bonne assurance annulation, bien entendu, un incident est si vite arrivé ! Doit-on en rire ou en pleurer ?
Mais, respectons un bon équilibre et offrons-nous une vision optimiste sur l’année qui arrive avec son lot d’espoirs sur le devenir de la photographique pour rapporter, émouvoir, constater, transporter, interpeller, etc. Les coups de boutoirs des dernières innovations éphémères (quoique lucratives pour certains), vont se répéter, encensés par des communications tonitruantes. Nous serons priés – une fois de plus ou de trop – de prendre des vessies pour des lanternes. Laissons faire et tant pis pour les écervelés qui se fourvoieront dans des acquisitions douteuses ou des abonnements non maîtrisés.
Quel plaisir d’échanger, lors d’une exposition, avec une jeune femme qui raconte avoir été marquée par une photographie (dans une autre exposition) dont sa mémoire m’a fait une description très fine, en laissant paraître une sensibilité touchée par cette œuvre. Il est vrai que cette admiratrice de l’image ne se souvenait pas du nom de la grande photographe auteure de cette œuvre. Plus, elle situait mal dans quelle exposition elle avait rencontré cette image magique et où elle l’avait revue à plusieurs reprises. Depuis cette découverte, elle entrait volontiers dans une exposition de photographies, uniquement pour l’image, pour l’impression de partager quelque chose avec l’auteur, sans le connaître et sans vouloir le connaître. Sa mémoire sélective emmagasinait maintenant des images, de toutes catégories, pourvu que son cœur puisse s’émouvoir. Pourquoi mon optimisme ? Parce que ce cas se répète de plus en plus souvent lorsque nous exposons ou que nous visitons le travail d’un confrère, pour peu que nous ne soyons pas atteints de nombrilisme aigu, comme disait le poète !
L’image photographique ressemble beaucoup aux très grands vins. Elle demande du temps pour exprimer sa complexité, il faut aussi du temps pour que le lecteur apprenne à en percevoir la quintessence. Le photographe, comme le vigneron génial, trouvera sa voie dans sa capacité à renouveler son savoir-faire en apportant une évolution créative, jours après jours, à ses œuvres.
Autre source de ma confiance, le rééquilibrage de l’éventail technologique qui prévaut pour la réalisation d’une image photographique. La prise de vues et les réalisations analogiques de photographies reprennent la place qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Ce qui ne retire rien à l’intérêt de la photographie digitale et de ses propres potentiels lorsqu’ils sont maîtrisés.
Kodak revient dans le circuit avec la mise sur le marché de quatre de ses films mythiques. Pentax innove avec un nouvel appareil de prise de vues d’un format surprenant à la française. Fudji et consorts modernisent leurs boitiers à films. Leica surfe, avec bonheur, sur le snobisme du jamais assez cher pour s’afficher en société. Tous ces ténors des images photographiques s’imaginent-ils retrouver avec l’argentique les sommes phénoménales qu’ils ont perdus avec le digital ? Dans tous les cas, les distributeurs réinstallent des rayons (physiques ou virtuels) dédiés aux matériels, aux fournitures et aux produits nécessaires. Par exemple, dans ses magasins, la FNAC installe un rayon spécialisé analogique dans son espace « photo », comme elle avait réintroduit un rayon « vinyle » au milieu de ses rayons musicaux. Les traitements écologiques alternatifs sont des sources d’échanges et d’expérimentations des deux côtés de l’océan, et se dévoilent même dans cette revue.
Enfin, tous les grands laboratoires photographiques recherchent désespérément des tireurs à installer devant un agrandisseur. Les grands anciens, connus de tous, sont partis. Nos écoles étaient plus préoccupées d’inculquer des délires et des injonctions de création à la mode, à des élèves peu rebelles. Pourquoi leur enseigner toutes ces bases techniques indispensables pour envisager de se perfectionner avec des anciens et devenir, eux-mêmes, des « tireurs » incontournables. Cette constatation de pertes de savoir patrimoniaux qui affaiblit toute l’industrie européenne devient, ce jour, flagrante pour la photographie. Ce retour de la demande est bienvenu.
Que des bonnes choses en vue, surveillez bien le pied du sapin ou la cheminée et bonnes fêtes d’espoirs à tous, au chaud évidemment.
Thierry Maindrault, 13 décembre 2024
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