Il est courant d’entendre dire à propos d’une foire, « ce stand est bon, celui-là n’est pas bon ». Il est moins courant que l’on cherche à justifier de façon claire le pourquoi de ces jugements. Pour essayer d’en savoir un peu plus, cette question toute simple a été posée à ceux qui, à un moment ou à un autre, visitent, participent ou organisent une foire, l’objectif étant de comprendre quels types de critères permettent de séparer le bon du mauvais.
Une foire est une exposition périodique qui concentre dans un lieu et un temps donnés des marchandises et des clients. Les foires ont une histoire, une des plus anciennes, la foire Saint Germain s’est tenue à Paris de 1176 à 1789. Dans ses allées, dont le plan n’est pas sans rappeler celui de l’Arco, on pouvait y trouver aussi bien des cochonnailles que des tableaux comme, par exemple en 1650, dans la loge du fameux marchand Forest, ceux de Nicolas Poussin. La foire y prenait son sens le plus simple : celui d’un grand marché public. Quand apparaît en 1963 ce qui deviendra plus tard la Foire de Bâle, le Salon international des galeries pilotes de Lausanne, c’est un tollé général. L’enjeu n’est pas de savoir si un stand est bon ou mauvais, mais de mettre des oeuvres en vente de façon publique et d’en affirmer la dimension marchande. On ne parle pas de comité de sélection, les stands sont tirés au sort, installés dans un musée et comme pour les premières Fiac, la manifestation a lieu sous la présidence d’honneur d’institutionnels reconnus. Maintenant, les foires sont devenues internationales et prestigieuses. Par l’intermédiaire des comités de sélection, elles construisent une hiérarchie esthétique et économique des galeries dont « la justification n’est pas toujours évidente », commente Jean-Pierre Jouët, un des créateurs de la Fiac.
Pas de bonnes oeuvres, pas de bon stand !
C’est cette réponse qui a été la plus fréquente. C’est celle, notamment, de Gérard Régnier, conservateur, pour qui cette définition est suffisante. Mais alors qu’est-ce qu’une bonne oeuvre ? Pour Stephen Daiter, marchand de Chicago, c’est « le meilleur matériel qu’on puisse apporter, tout le reste est subjectif ! ». Alain Paviot, marchand parisien beaucoup plus prosaïque, répond : « de la came fraîche et pas resucée ». D’autres, collectionneurs, visiteurs, organisateurs de foires privilégient les oeuvres d’artistes de renommée internationale, au top des hits parades financiers. Cependant ces noms connus ne valident pas toujours les choix d’une galerie, mais plutôt ceux de l’opinion ou du marché, surtout quand ils apparaissent le temps d’une foire ou proviennent d’une vente aux enchères plus ou moins récente. La nouveauté, voire ce qui est « drôle » ou « sexy » a été cité comme un élément influent. Mais le photographe Jean-Christophe Béchet aborde la nouveauté d’un autre point de vue : « Un bon stand doit éviter de présenter les mêmes oeuvres d’une foire à l’autre ». Linda Cukierman, collectionneuse, ajoute : « la nouveauté doit relever d’un engagement, d’une prise de risque », pour préciser : « on peut assurer les découvertes avec des valeurs sûres ». En revanche, Quentin Bajac, conservateur au Centre Pompidou, explique : « j’aime à retrouver les mêmes artistes, si la vision qu’on m’en donne est renouvelée, quitte à mélanger ancien et contemporain ». Ainsi, contrairement à une foire ou à une maison de vente, une galerie est un lieu de maturation pour un artiste, un temps donné pour voir évoluer une oeuvre dans la durée. Enfin, le dernier élément cité pour définir une bonne oeuvre, c’est son prix. Alex Novak, chroniqueur et marchand américain, insiste, comme beaucoup d’autres collectionneurs, sur le fait qu’un bon stand doit aussi avoir des oeuvres à des prix abordables et accessibles. Ce qui est le plus vu, le plus regardé, n’est pas forcément ce qui est le plus acheté et un bon stand peut être aussi un stand qui vend bien.
Bon ou beau ?
Plusieurs personnes ont posé la question : « Bon ou beau ? ». Là, les opinions divergent entre la revendication d’un « foutoir sympathique où l’on se sent libre » et une installation « qui copie sur les musées » cautionnée par un commissaire. Si la sanctification de l’objet et la sacralisation de l’espace vont séduire certains, d’autres répondent que : « ces stands intimidants masquent parfois le manque d’intérêt de ce qui est accroché ». Danielle Maillard, collectionneuse ajoute : « Un stand trop prestigieux ne déclenche pas l’acte d’achat. Un bon stand, c’est un stand où j’ai envie d’acheter ». Ainsi au temps où l’Association International Photographic Art Dealers s’était installée au Hilton à New York, on pouvait trouver en toute liberté des trésors dans de simples bacs. Ainsi les visiteurs aiment à se sentir à l’aise, « comme pour aller au concert ». Thomas Zander, galeriste, explique : « J’aime les stands avec deux entrées où les gens ne se sentent pas en cage ». Une présentation soignée, qu’elle soit exubérante ou minimaliste, un mobilier agréable, des cartels clairs, une typographie discrète, un accueil souriant et une documentation sérieuse restent les critères d’un bon stand sur le plan pratique. Et Philippe Ducat, chroniqueur et graphiste, de conclure : « une bonne scénographie c’est bien, mais on s’en fout. Comme disait Barnett Newman : “L’esthétique est à l’artiste ce que l’ornithologie est aux oiseaux”. »
Un bon stand, c‘est une bonne galerie !
Cette troisième remarque a fait l’unanimité des personnes interrogées : un bon stand doit donner un point de vue, avoir une identité forte, affirmer des choix et « ne pas ressembler à une boutique ». Jennifer Flay, commissaire de la Fiac, parle de « l’harmonie d’un ensemble qui fait dialoguer les pièces entre elles, où chaque oeuvre respire, révèle sa singularité dans les meilleures conditions d’accrochage ». « Un stand lisible », précise la collectionneuse Delphine Lemaistre, « qui doit avoir une ligne directrice aussi bien visuelle que thématique et qui ne sature pas le regard avec des accumulations inutiles. » Quant à Quentin Bajac, il ajoute « le stand ne doit pas ressembler à la page Internet de la galerie et doit éviter le saupoudrage ». Cette lisibilité doit aussi se manifester dans la présentation, avec des ensembles cohérents : « Bref on ne devrait pas avoir besoin du galeriste pour comprendre ce que son regard analyse », ajoute Henri Parado, collectionneur. Un espace identifiable avec des limites claires où l’on doit pouvoir dire : « On est rentré chez lui comme on entre dans sa galerie, on passe d’une oeuvre à l’autre dans un récit facile à suivre », explique Julien Frydman, commissaire de Paris Photo. Ainsi, c’est toute l’identité du travail du galeriste qui transparaît dans le choix des oeuvres et leur accrochage. « Be who you are ! », conclut Stephen Daiter car une bonne galerie expose des artistes avant d’exposer des oeuvres.
Comme dans une oeuvre classique, dans ces réservoirs de marchandises et de collectionneurs que sont les foires, un stand obéit aux unités de lieu, de temps et d’espace. Quand il est « bon », c’est qu’il est devenu un compromis réussi entre le principe de plaisir et le principe de réalité.
Cet article avait été rédigé par Françoise Paviot pour une publication dans Le Journal des Arts