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Françoise Denoyelle : Lettre à mes anciens étudiants et aux photographes

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La foire de Bièvres n’aura pas lieu. Les éditions ajournées, les catalogues différés ; introductions, ouvrages et textes divers attendront. Les jours d’aujourd’hui se suivent, propices au rangement des archives. Lettres, cartons d’invitation, photographies. Le temps s’étire. Un courriel annonce l’annulation des Rencontres de la photographie.

Un cliché ressurgit d’une boite trop remplie sur mon bureau. La fine fleur lumièriste devant la gazette Du Sel au Pixel. 10 pages quotidiennes de reportages sur les Rencontres, de portraits à la chambre et en numérique. On en été alors aux balbutiements. Je retourne la photographie « Etudiants de Louis-Lumière, rue de la Calade, Arles 1999 ».

Débarqués de votre école, vous ne connaissez que le papier glacé du monde de la photographie. Qui photographier, où les trouver, comment les repérer ? Les habitudes des uns, les hôtels des autres, les historiques du festival et la cohorte de leurs successeurs, les mondanités institutionnalisées, les lieux incontournables, vous apprenez vite, n’avez peur de rien, courez la ville, les expositions, colloques et manifestations diverses. Vous repérez les têtes d’affiche, jouez des coudes, du sourire, affichez une effrontée jeunesse, traquez le bon angle de prise de vue, assurant la cadence, passant de l’excitation aux affres de la mauvaise prise, affrontant les stars de l’objectif, les barons de la conservation muséale et l’élite journalistique.

Les générations se succèdent. Portraitistes et portraiturés tournent au carrousel des années. Même quête fébrile et jubilatoire pour rencontrer Jane Evellyn Atwood, arracher un rendez-vous avec Martin Parr, amener Peter Lidbergh dans les ruines du théâtre antique, Lise Sarfati dans un immeuble délabré et Christian Caujolle aux Cryptoportiques.

1 300 portraits plus tard, retour comme chaque année pour la photographie de groupe ici où là dans la fournaise arlésienne. Toujours une cinquantaine de fidèles, un peu moins filiformes, un peu plus assurés.

En 2020, pas de retrouvailles, pas de photo arlésienne. J’ai des nouvelles de vous en ouvrant les journaux. Coutagne au Monde, Charrier à Libération, font merveille, envoient des photographes sur tous les fronts. « Une journée au cœur de la « réa 4 » par Tristan Reynaud. Alignements de lits dans une profusion de câbles, de machines, d’écrans. Les fantassins de la réanimation harnachés d’une panoplie protectrice récupérée de haute lutte ou par habile débrouillardise, stabilisent les corps pour préserver le souffle de la vie. « Confinement sur la route de la vacance » par Mathias Depardon. La Nationale 7, l’icône des vacances des Trente glorieuses rendue à la vacuité du bitume déserté. « Confinement restons planqués » par Frédéric Stucin : lumière d’un matin du monde pour quelques maraudeurs d’instants de pur liberté au bois de Boulogne. « Penser l’après » par Antoine d’Agata, en thermophotographie, conduit par un spectre rougeoyant sortant des entrailles d’une postmodernité libérale. Des clichés par brassées, mais tant d’autres photographes en sont réduits aux bouteilles à la mer dans l’océan du virtuel, tant d’as du déclenchement devront renoncer les poches vides, sans aide, l’appareil en berne dans la solitude de leurs vains efforts.

Sur les tables de cuisine, au bord des lits, sur le bureau entre les feuilles des devoirs, les écrans crachent en continu la pitance quotidienne de pixels gélifiés, javellisés, chloroquinés. Tous photographes. Le photoreporter à du plomb dans l’aile. Ne suffit pas de jouer de la flute pour être compositeur. Capa prédisait déjà la fin de la photographie en 1939 et voulait embarquer Willy Ronis dans un tour du monde pour faire des films.

A l’Ecole Louis-Lumière dans les méandres de la polyvalence des formations, des apprentissages, des initiations à la recherche, vous aviez découvert vos potentiels : anticiper, viser juste et toute la cohorte des qualités qui sied aux meilleurs et sans laquelle rien ne résiste : persévérance (50-60 ans de photographie c’est long), enthousiasme, opiniâtreté, méthode, sens de l’adaptation rapide, assurance de pouvoir faire face.

Jehan De Bujadoux ouvrira la galerie Fish Eye à Arles en juillet et Sébastien Normand poursuivra sa collaboration avec le musée Réatu, Cyril Weiner partira en résidence d’artiste invité par Alexandra Fleurentin, Samuel Bollendorf prépare son projet sur les frontaliers pour Esch-sur-Alzette capitale européenne de la photographie. Chez Myop Olivier Monge et Olivier Jobard embarqués dans Sine Die, chronique collective et journalière de la pandémie par les photographes de l’agence sont déjà passée à autre chose.

Vous avez toujours su appareiller vers le meilleur.

Rendez-vous Visa pour l’Image, à Paris Photo.

Amitiés

Françoise Denoyelle

 

 

 

 

 

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