Sylvie Rebbot qui fut la directrice de la photographie de Geo et est maintenant l’une des collaboratrices de l’Oeil de la Photographie, vient de nous faire parvenir ces images et ce texte de Francisco Zizola. C’est vrai que sur cette tragédie quotidienne, on ne communique quasiment plus.
A l’horreur des faits, s’ajoute l’horreur du silence. Alors, prenons le temps d’écouter le coup de gueule de Francisco et merci Sylvie !
Jean-Jacques Naudet
En 2015, Francisco Zizola était à bord du Bourbon Argos et d’une équipe de médecins sans frontières pour documenter le sauvetage de plus de trois mille migrants. Depuis lors, on estime que 20 000 migrants sont morts en essayant de traverser la mer Méditerranée. Pour les quelques personnes secourues, des milliers de personnes se noient dans des bateaux non navigables avec peu ou pas d’équipement de survie dans une mer très dangereuse. Nos journaux montrent parfois une photo comme celle publiée il y a trois semaines d’un canot pneumatique retourné qui a été pris d’un bateau arrivé trop tard pour être utile, cette semaine-là, 120 personnes sont mortes.
Francisco Zizola a écrit sur ces tragédies en cours.
Sylvie Rebbot
In the Same Boat
Au moment où j’écris ces notes, environ 3 bateaux pneumatiques avec des centaines de personnes à bord naviguent dans le canal de la Sicile vers l’Italie. Ils ont signalé leur position à une ONG qui envoie leurs coordonnées aux unités de secours dans le but de sauver la vie des passagers des bateaux en difficulté. Il y a dix jours, dans des conditions météorologiques similaires à celles d’aujourd’hui, un bateau qui avait lancé des sos répétés pendant des heures a été perdu de vue. Les autorités gouvernementales qui gèrent les urgences en mer (garde-côtes italiens, maltais et libyens) avaient réagi aux alarmes continues avec environ 20 heures (sic!) de retard et les navires marchands qui avaient entendu les messages et se trouvaient à proximité n’avaient pas osé une approche afin de ne pas risquer la saisie du navire par les autorités. Au bout de 24 heures, un navire de reconnaissance des garde-côtes italiens a atteint l’endroit indiqué dans le dernier message désespéré lancé par les passagers du bateau et n’a trouvé qu’une vingtaine de cadavres, ceux portant un gilet de sauvetage ou une chambre à air de pneu; les autres, environ quatre-vingts, y compris des femmes et des enfants, sont présumés s’être noyés en haute mer.
Depuis que le gouvernement italien a mis fin à l’opération de recherche et de sauvetage appelée Mare Nostrum en 2016, les plus grandes tragédies de l’histoire maritime se sont produites en Méditerranée. Des milliers d’êtres humains sont abandonnés à la noyade ou aux mains des responsables des garde-côtes libyens, payés par les gouvernements occidentaux pour décourager les départs et ramener les migrants pris en mer pour les emprisonner et les torturer.
En attendant, toute la machine du pouvoir institutionnel a mis en place une énorme opération de désinformation qui dépeint les migrants comme des profiteurs et des voleurs (de nos femmes, de nos emplois, de notre propriété privée) et se revêt d’une solidarité hypocrite en allouant de l’argent à des projets d ‘ »aide » fantômes aux pays d’origine des migrants.
Toutes les enquêtes qui mettent en évidence les raisons obscènes de nos réels intérêts géopolitiques et économiques dans les zones touchées par les vagues de migration vers l’Europe ont disparu de l’actualité et des programmes d’informations.
Rien n’est dit, par exemple, sur le vol des ressources halieutiques dans les zones côtières de pêche les plus riches de l’Afrique de l’Ouest, celle du Sénégal, par des bateaux de pêche européens, sauf pour criminaliser ensuite les immigrés africains qui viennent de ces zones, ayant fui la pauvreté et la faim. . On pourrait aussi évoquer l’une des raisons du conflit qui ensanglante le Congo depuis des décennies, la présence dans son sous-sol de richesses minérales inouïes mais très connues des multinationales occidentales qui en tirent profit sans même en payer les droits et les exploitent en utilisant une main-d’œuvre locale souvent sous-payée ou non rémunérée.
Et ainsi nous pourrions continuer avec des exemples éclairants qui racontent une histoire de néocolonialisme féroce et hypocrite. Le problème de l’information est également crucial aujourd’hui car pour continuer à perpétuer la domination économique et financière sur le monde, les puissances constituées font usage d’un instrument qui s’est avéré stratégique: la démocratie. Aujourd’hui, nous sommes tous des habitants du monde occidental qui votent et permettent à nos dirigeants ces atrocités. Nous faisons cela parce que l’information est contrôlée et que toute voix indépendante ou critique est découragée, en fait elle est criminalisée et anéantie jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Sous nos yeux, l’Europe tourne la tête de l’autre coté et ne fait rien pour aider les êtres humains dont le seul défaut est d’essayer de survivre au désert économique et culturel dans lequel l’Occident transforme le monde.
Francisco Zizola
Francisco Zizola : In the Same Boat
du 8 mai au 6 juin 2021
La galerie 3.1
7 rue Jules Chalande, 31000 Toulouse
https://www.haute-garonne.fr/service/la-galerie-31
Festival de Photo MAP
18 juin – 21 juillet 2021