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Best of octobre – Francis Giacobetti : lumières, couleur et atmosphère

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À la fin des années 1960, au début des années 1970, il y a trois très grands photographes au sommaire du magazine mensuel Lui alors à son apogée : Faroum Gourgouloff, Frank Gitty et Francis Giacobetti. Ils se partagent les rubriques de mode, de beauté et surtout de nus avec le même talent et la même force picturale ! Bien sûr, ils ne représentent qu’une seule et même personne, et cette hégémonie durera plus de 15 ans. Francis Giacobetti est un très grand photographe et comme tous les photographes de charme, un amoureux fou de la femme. Un livre publié chez Assouline ce mois-ci et une vente chez Artcurial à Paris (17 octobre) remettent Francis Giacobetti sous les projecteurs. Il était important, pour nous, à L’Œil de la Photographie d’y participer également : notre édition d’aujourd’hui lui est ainsi entièrement consacrée.

 

Il y a un peu plus de cinquante ans, le jeune Francis Giacobetti s’impose et se taille une réputation unique dans l’histoire de la photographie éditoriale de prestige. Il a tenté sa chance en tant que photojournaliste, mais s’écarte rapidement cette voie, agacé de ne pouvoir travailler comme il le souhaite sur les compositions, les éclairages et le style de ses images. Tournant le dos à Paris Match, Francis s’aventure alors en terrain inconnu et travaille avec l’éditeur Daniel Filipacchi à une nouvelle publication, que le jeune photographe va façonner et marquer de son style. Lancé en novembre 1963, le magazine n’est autre que Lui, une riposte chic et résolument française à Playboy. Lui surfe sur la vague du consumérisme américain d’après-guerre, style qui prend de l’ampleur en Europe à l’époque. Le magazine regorge de promesses hédonistes de trophées matérialistes – voitures, montres de luxe, appareils hi-fi, vêtements et accessoires haut de gamme –, sans parler de sa façon libertine de célébrer les jolies femmes. Le cocktail a été composé avec flair et le magazine remporte un énorme succès qui doit tout, on ne peut le nier, à la maîtrise de Francis en tant que photographe du nu féminin. Ses images ont inspiré les rêves érotiques d’une génération entière d’hommes – et de femmes.

Il y a deux ans, j’avais passé un après-midi avec Francis, dans son appartement parisien, à regarder des photos tout en devisant sur l’évolution actuelle du monde de la photographie et de l’édition. Nous avions abordé également l’univers changeant de la mode, évoquant le fait que la jeune génération ne savait rien ou presque de sa carrière. Le lendemain, j’allais voir une exposition sur Jean-Honoré Fragonard au musée du Luxembourg. Fragonard était l’un des artistes majeurs de l’époque de Louis xv, et ses tableaux décrivaient délicieusement le mode de vie privilégié de la haute société française, accordant une place centrale aux rituels, à la cour faite aux femmes et à l’érotisme. Emblématique de cette période, son travail était le miroir parfait d’un monde d’extravagance, de sensualité et d’artifice, qui devait prendre fin avec la Révolution française en 1789. Pourtant, grâce à son talent et à son imagination, son œuvre intemporelle a traversé les âges et nous inspire le ravissement.

Je n’ai pu m’empêcher de faire le rapprochement entre les tableaux de Fragonard et les photos de Francis Giacobetti. Malgré les deux siècles qui les séparent, ils témoignent tous les deux d’un contexte social et culturel spécifique, qu’ils subliment grâce à leur finesse exceptionnelle. Époque, lieu, intuition artistique et talent, tels sont les ingrédients de leur réussite. La France du milieu des années 1960 se dirige droit vers les événements de mai 1968, avec leur déchaînement de violences parmi les étudiants et les ouvriers. Un désir de renouveau aux multiples facettes flotte dans l’air. L’ordre établi et ses valeurs sont menacés. Le militantisme politique forme l’un des aspects de ce séisme, et le libéralisme provocateur en est un autre. Cette ambiance bouillonne de nouvelle vitalité. Elle va générer tendances et prises de positions sur l’habillement ainsi que la nudité, attitudes qui vont avoir un impact considérable pour les années à venir. L’univers Kodachrome de Francis et l’exaltation charnelle sophistiquée qu’il imprime aux pages de Lui définissent un nouvel état d’esprit. Ce n’est sans doute pas une coïncidence qu’en quelques courtes années, les seins nus deviennent monnaie courante sur les plages de la Riviera.

Le talent de Francis va au-delà de ses nus. Il apporte sa sensibilité à la couleur et à la lumière, et en tant que directeur artistique, influence de sa rigueur les disciplines de la mode et de la beauté. N’oublions pas non plus son talent de portraitiste, qui se manifeste dans un corpus remarquable d’études particulièrement intelligentes sur certaines des personnalités les plus éminentes de notre histoire. En atteste notamment sa série intime et pertinente sur Francis Bacon.

Le monde a changé depuis que Francis s’est réinventé et distingué avec ses photographies jubilatoires de femmes splendides. Nous vivons dans un climat plus puritain, restrictif et critique. Francis reconnaît lui-même que ce qui semblait si naturel à l’époque est désormais considéré comme inacceptable et sujet à controverse. Tant et si bien qu’il s’interroge, quelque peu désemparé, sur la nature de l’héritage qu’il nous lègue. En tant qu’ami et champion de longue date, je saisis ici l’occasion de rendre hommage à son talent ainsi qu’à son intégrité créative, et d’exprimer l’espoir que ses exploits lui vaillent la place éternelle qu’il mérite au panthéon de la photographie.

 

 

Philippe Garner 

Philippe Garner a travaillé comme directeur du département photographie de Sotheby’s et Christie’s en Angleterre, avant de prendre sa retraite en 2016.

 

 

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