Il est assez rare de penser à Francesca Woodman habillée, tant les photographies les plus marquantes de son œuvre la révèlent nue, dans des situations énigmatiques et bouleversantes de beauté. Dans une séduisante exposition à voir ce mois ci à la Goodman Gallery de New York, le vêtement est pourtant omniprésent. Et pour cause, la trentaine d’images ici dévoilées explore un pan méconnu de la courte et prolifique carrière de Francesca Woodman : sa passion pour la mode. Si le thème paraît inédit, les photographies le sont tout autant, les trois quarts d’entre elles n’ayant jamais été montrées. Dans ces images, on retrouve évidemment des autoportraits de l’Américaine mais également, et à part égale, des mises en scènes avec des modèles, dont l’identité demeure pour plusieurs d’entre elles encore aujourd’hui un mystère.
Jeux de tissus, de lumière, de textures ou de natures. Tout en restant attachée à la poésie d’intérieurs en décomposition, Francesca Woodman parle ici d’une autre manière de sa fascination pour la femme, ses formes, ou l’esthétisme qui lui est associé. Un langage moins brut et moins mélancolique qu’à l’habitude, où le sujet jouit d’une mise en valeur, et qui peut faire intervenir les animaux, empaillés, en fourrure ou sculptés dans la pierre, un détail qui contraste forcément avec la pureté de son style. Comme le souligne Alison Gingeras, auteure d’un essai associé, l’atmosphère sombre d’une grande partie de ces photographies évoque le travail de Deborah Turbeville, illustre photographe du genre, que Francesca Woodman a tenté de rencontrer à de multiples reprises au début des années 1980 pour tenter de l’assister : « En imitant les paradigmes amorcés par le triumvirat des photographes de mode qui ont régné sur les pages de Vogue à la fin des années 1970 – Helmut Newton, Guy Bourdin, et Deborah Turbeville –, l’approche du genre par Francesca Woodman a évité la simple mise en avant de vêtements et accessoires. Emulant cet archétype éditorial de mode des seventies, les images de Woodman ont été délibérément construites pour attirer le spectateur dans la consommation d’une histoire complexe plutôt que des produits qui pourraient être présentés dans le pictural. »
Si ces photographies ont été réalisées dans les dernières années de sa vie, à New York entre 1978 et 1980, l’intérêt de Francesca Woodman pour la mode remonte à l’enfance. Une enfance passée parfois en Italie, pays du chic, où elle suivit sa mère dans les salles des musées de Florence notamment, armée d’un carnet de dessin et laissée à elle-même. De délicieux moments de contemplation solitaire dont la jeune Francesca ramenait de nombreux croquis de femmes en robes élégantes. Ces précieux documents, empreints d’une admiration précoce pour l’esthétisme, se retrouvent aujourd’hui dans les archives détenues par ses parents, au même titre que ses cahiers de travail et son livre d’artiste. « La mode est devenu un outil essentiel pour Francesca Woodman, écrit Alison Gingeras. A la fois pour ses nouvelles pratiques artistiques et pour son exploration de soi. Plus que de simplement lui fournir des accessoires, la mode a été un catalyseur de créativité pour sa vie et la construction de ses images. Dès son jeune âge, elle avait déjà une compréhension conceptuelle de la mode, qu’elle voyait comme un signifiant puissant et un outil performatif. »
L’exposition I’m trying my hand at fashion photography, titre emprunté à l’artiste car manuscrit sur quelques images, pointe ainsi un insondable caractère de l’œuvre de Francesca Woodmann, à l’image à la fois entière et interdite, et donc aux antipodes d’une pratique de la mode. Inévitablement, parce que la mode était aussi envisagée par la photographe comme un futur gagne-pain avant qu’elle ne se suicide, ce thème semble presque bouleverser le mythe qu’on lui associe : celui de l’artiste maudit.
EXPOSITION
I’m trying my hand at fashion photography
Francesca Woodman
Jusqu’au 13 mars 2015
Galerie Marian Goodman
24 West 57TH Street
New York, NY 10019
212-977-7160
