Dirk Braeckman a d’abord été peintre, n’employant tout d’abord la photographie qu’en tant que moyen pour documenter ses sujets. Cette pratique initiale de la peinture fut déterminante dans la manière dont la photographie devint ensuite le catalyseur d’un regard de peintre. L’art de Dirk Braeckman ne produit pas d’images car les images n’ont aucune surface, contrairement à ses œuvres dont la granulation importe autant qu’importe la touche d’un peintre. Une peinture est d’abord le récit d’un regard.
Ce que nous voyons des œuvres de Dirk Braeckman n’est pas la prise de vue initiale mais un regard particulier sur le monde où les choses sont appréhendées dans une relation constante avec la remémoration. Ce qui est montré est ce qui a été vu puis, partiellement, voire totalement, oublié.
L’acte photographique ne constitue qu’un premier geste de captation destiné à être archivé, parfois durant des années, avant qu’une image ne soit exhumée, comme on exhume un souvenir ancien. L’image est prise, laissée, puis reprise, redécouverte, parfois reprisée, rephotographiée, recadrée ou étalonnée selon une lumière différente – comme se refabriquent nos souvenirs lorsque nous les appelons à nous, dans une authenticité vacillante, voilée par le trouble grisâtre d’une mémoire en ressac. Il y a une évidence possible de ce qui a été vu, une somme d’évidences dont l’existence n’est que plausible, dont la clarté et la flagrance sont infléchies et contrariées par l’oubli, par la mise en jachère des images, par l’opalescence de voilages, l’épaisseur mate de rideaux ou la perturbation de reflets parasitaires. Ces évidences sont trompeuses, elles ne sont en aucun cas des preuves (evidence, en anglais). Il ne s’agit pas de rendre compte d’un instant vécu, il ne s’agit pas de produire des instantanés, mais de produire le récit d’un regard, de restituer la façon dont le souvenir d’un lieu sédimente jusqu’à n’être plus un souvenir mais un tableau en soi, un monde refermé sur lui-même se livrant rétrospectivement dans son instabilité, dans son évanescence, dans le léger flottement d’une lumière grise dont les tons demeurent impossibles à fixer dans la mémoire. Les œuvres de Dirk Braeckman gisent sur l’étiolement progressif d’une image vue, remémorée et peu à peu désagrégée, jusqu’à parvenir à une fragmentation telle que le souvenir s’oublie lui-même dans le corps autonome de l’œuvre. Ce serait peut-être cela, un tableau.
Extrait de «Demeurer absent», Jean-Charles Vergne
Catalogue de l’exposition Dirk Braeckman, Évidences possibles, FRAC Auvergne
FRAC Auvergne
28 Janvier – 14 Mai 2023
www.fracauvergne.com