Jacques Sonck (1949) est l’un de ceux qui ont façonné la « photographie de rue », et plus particulièrement le portrait de rue. Sonck préfère éviter les médias, se fondre discrètement dans la foule – et on ne s’attend pas à de grandes théories ou à un engagement social de sa part. Il fait partie des trésors méconnus de la Belgique et mérite certainement une attention et une reconnaissance internationale plus large.
Il a étudié à Narafi, qui fait aujourd’hui partie de la Luca School of Arts, ce qui lui a permis d’acquérir une connaissance approfondie du médium photographique et un penchant pour le processus analogique.
Jacques Sonck (1949) lui-même fait référence à l’influence d’icônes telles que Sander, Avedon, Penn, Arbus sur son travail. Un coup d’œil à l’exposition de la Fondation A Stichting permet certainement de les associer visuellement, tout comme l’enfant avec la boîte sur la tête rappelle le portrait d’Irving Penn de Saul Steinberg in « Nose Mask, New York 1966 », tout comme la gogo girl vous projette inévitablement dans l’Ouest américain d’Avedon, et la femme au voile, l’homme au drapeau américain et les filles à la robe à pois évoquent inévitablement des souvenirs d’Arbus.
Mais la comparaison ne tient pas. On ne trouve chez lui ni l’approche documentaire sociologique de Sander ou d’Avedon, ni l’impressionnante collection de citoyens du monde notoires de Penn, ni l’intensité psychologique et la critique sociale des images de Diane Arbus (1923-1971).
Mais qu’est-ce qui caractérise son style ? Il opte pour la neutralité de l’expression, de l’arrière-plan et de la pose. Parfois, très rarement, un dialogue s’instaure lorsque d’autres personnages sont présents dans l’image. Comme l’homme avec le tatouage « Marie Louise » sur la poitrine, où l’on se demande si la femme à l’arrière-plan porte ce nom. C’est une représentation du monde, de son monde. Une petite région du nord de la Belgique, bordée par Bruxelles, Gand et Anvers – avec, de temps à autre, une incursion sur la côte ou dans le sud de la France ou en Crète. Avec lui, ne cherchez ni la « mouche sur le mur » de type documentaire, ni l’image volée « hit & run ».
Avec Sonck, les images sont le résultat de rencontres fortuites avec des passants, d’un bref dialogue : « Puis-je vous photographier ? » Après la prise de vue, chacun repart de son côté. Il choisit des sujets qui ont une individualité, un trait extérieur distinctif. Ses images nous font réfléchir sur « normalité ». Normal – introduire le mot implicite qu’on accepte en même temps ‘anormal’ – s’écarter de la norme. C’est précisément ce à quoi s’oppose la photographie de Jacques Sonck, un subtil manifeste en faveur du respect de chaque être humain, qui défend le droit à l’excentricité, à la diversité, et ce bien avant que cela ne devienne à la mode.
Pour moi, la photographie de Sonck a plus de parallèles avec le regard compatissant de Vivian Maier, qui regardait les gens en marge de la société avec beaucoup de compréhension, avec la photographie de rue de Lisette Model (1901-1983) (professeur d’Arbus et amie de Weegee) et avec les images sans fioritures d’Irving Penn.
Sonck n’ajoute toujours qu’un lieu et une année comme légende, mais dans la Fondation A Stichting, les photos sont présentées sans légende, sans nom, sans contexte, moins on ajoute d’informations, mieux c’est, de l’avis même de l’auteur. « À mon avis, mes photos n’ont pas besoin de trop d’informations. Il est plus intéressant pour moi que le spectateur fasse appel à son imagination et ajoute sa propre histoire à la photo. » Les images sont mélangées – pas de chronologie, pas de lieux. En regardant attentivement, on peut voir l’image de l’époque, par exemple dans les détails qui expriment l’image de la mode, comme les punks, ou dans l’évolution de l’opinion sur le genre.
L’exposition, sous le commissariat de Roger Szmulewicz de la galerie Fifty One à Anvers , couvre près de 50 ans (de la fin des années 1970 à aujourd’hui) et se présente comme une œuvre d’une remarquable unité stylistique et thématique. Cette première exposition à Bruxelles (l’artiste a déjà exposé à New York, à Palencia, à Vichy (France) et au Palais de Tokyo, à Paris) présente 100 portraits de rue et une vingtaine d’images de studio.
La fondatrice de la Fondation A Stichting, Mme Astrid Ullens de Schooten Whettnall, a fait l’éloge de Sonck « pour son œuvre cohérente et unique où il ne montre pas seulement un certain zeitgeist mais aussi une certaine Belgitude ». Une Belgitude sans bière, sans BD, sans frites et sans chocolat. Et surtout à voir, jusqu’au 31 mars à la Fondation A Stichting et, espérons-le, bientôt ailleurs – si possible.
John Devos
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Jacques Sonck / Portraits 1977-2019, jusqu’au 31 mars à la Fondation A Stichting, Bruxelles.
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