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Fotofever 2012: Le Journal de Matthieu Wolmark

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Le long du canal, dans les entrepôts chic du site Tour et Taxis, Fotofever a ouvert ses portes mercredi soir à Bruxelles. Une soixantaine de galeristes «européens» participent à cette foire de la photographie, petite soeur du Fotofever inauguré à Paris en 2011. En pénétrant dans l’enceinte de ce bâtiment de briques et d’acier, en découvrant les allées propres, murs blancs et oeuvres alignées au cordeau, je souris à l’idée de rentrer dans une «Foire» qui ne vend ni bestiaux, ni machines-outils. Dans mon bestiaire lexical et o combien subjectif, le terme de foire évoque irrépressiblement l’image de ces marchés moyenâgeux ou bateleurs, bonimenteurs et marchands de toutes sortes proposaient au chaland le meilleur comme le pire.

Par une sorte de lointain hommage à l’évolution commerciale de nos pays développés, ce mélange de genres et, tout aussi subjectivement, de qualité des oeuvres exposées, est présent sur l’ensemble de la foire. D’un stand à l’autre, les oeuvres de monstres sacrés côtoient celles de photographes inspirés, qu’ils soient reconnus ou non, comme celles d’oeuvres opportunistes destinées à un oubli certain. Des galeristes à l’ancienne parlent avec tendresse de leurs photographes comme s’ils évoquaient des membres de leur famille quand, à côté, de jeunes (et moins jeunes) marchands ou agents présentent des oeuvres comme s’ils vendaient un placement boursier.

C’est paradoxalement cette cohabitation de démarches, de public et de positionnements différents qui fait l’intérêt de cette jeune foire. Autant parce qu’elle présente sans fard un état du marché que parce qu’elle oblige, naturellement, à se rapprocher de ses gouts. Il reste à espérer que les prochaines éditions sauront élargir le champ des exposants à l’ensemble de l’Europe et produire un rendez-vous annuel de qualité ou la photographie européenne sera à l’honneur.

Florilège arbitraire de photographes et de leurs galeristes

Galerie 127
Olivia Buynoghe, Denis Dailleux, Daoud Aoulad Syad

La première pièce qui a arrêté mon regard sur la foire est une scène tribale digne d’un rêve anthropomorphique fait par un opérateur des années 30 en mission pour National Geographic. Noir, bleu, corps dénudés, lances, masques et plumes sur fond de nuit noire, mariée shootée au Polaroid ou femmes au regard fixe dans l’attente, les oeuvres d’Olivia Bruynoghe sont des mini-histoires ou plutôt des histoires dans l’histoire. Script de Cinéma, elle s’est amusée à transformer in situ, des clichés de raccord en photographies à part entière. J’aime voir dans une image un cadre qui raconte une histoire et ai été frappé par sa manière presque modeste de s’effacer devant ce qu’elle transforme en photographie.

Sa rencontre avec Nathalie Locatelli de la galerie 127 a été un déclencheur et un excellent exemple du travail du galeriste. Leur collaboration a débutée lorsque Olivia Bruynoghe est venue lui présenter des clichés en noir et blanc. La galeriste les parcoure, les commente et, en bonne professionnelle, dégage du fond de la boite une enveloppe contenant des polaroids qui s’était glissée par la. Son regard s’y arrête et au fil de la conversation amène Olivia Bruynogue à reprendre un travail qu’elle avait un peu laissée de côté. C’est ce travail qui est présenté. Les noir et blanc ne sont pas pour autant oubliés puisque la prochaine série devrait être composée de triptyques en techniques mixtes.

Les images de Denis Dailleux me font penser que Delacroix aurait peut être utilisé son Mamiya de la même façon que lui… Variations subtiles de tonalités, composition de personnes fixes qui semblent en mouvement, éventail de couleurs et lumières si naturelles qu’elle semblent arrangées, ces photos de la gare du Caire ou des plages du Ghana sont empreintes d’une grande poésie et peut être aussi d’une nostalgie à venir. Il dit s’être rendu compte après coup qu’il photographiait souvent des lieux (son village, sa tante Juliette, les gares, les quartiers populaires,), en essayant de transmettre ces atmosphères qui ne survivront pas à la globalisation.

Il y a beaucoup de poésie dans son travail autant qu’il y a de puissance, de violence, dans le travail de Daoud Aoulad Syad. Photographe et cinéaste de talent, Daoud Aoulad Syad fera l’objet d’une rétrospective en 2015 à la MEP. Les clichés en noir et blanc et les cibachromes que présente Nathalie Locatelli sont de toute beauté. Ce sont des images fortes, dures, qui expriment autant une grande conscience des difficultés qu’elles dégagent un amour évident pour son pays et ses habitants.

Galerie Fifty One, Anvers

Un moment passé à discuter avec un des premiers marchands de photographie en Belgique. Roger Szmulewicz est un passionné réfléchi la où d’autres expriment avec chaleur leur enthousiasme. Mais, à n’en pas douter, ils font partie du même moule. Hormis un gout très sur,ce qui le caractérise (avec d’autres du même acabit) c’est l’extrême empathie qu’il a pour les artistes qu’il représente. Non seulement, il les collectionne mais, surtout il prend avec eux le temps de l’écoute. L’entendre parler de William Klein ou de Saul Leiter comme d’amis proches est un plaisir car, derrière les noms et les carrières, on sent une communauté d’esprit et, derrière l’apparence un peu austère du personnage, on devine un homme dirigé par un crédo, des valeurs et une vision de l’art qui dépassent son métier de galeriste.

Roger Szmulewicz a débuté sa carrière il y a une quinzaine d’années alors qu’il n’existait pas de galerie spécialisée en photographie à Bruxelles. Maintenant considéré comme une des meilleures galeries de Belgique, il explique qu’il lui a fallu du temps et beaucoup de patience pour en arriver la, et que si William Klein est maintenant un artiste reconnu, sa première exposition fut un fiasco total. Les gros collectionneurs, les institutions importantes ont eux aussi pris leur temps pour voir comment le jeune se débrouillait. Lorsqu’il me raconte cette histoire, je vois dans son regard les années d’efforts accumulés. C’est pour cela que je comprends assez aisément sa fierté lorsqu’il me dit que c’est la Fondation Lartigue qui l’a contacté pour organiser la rétrospective qu’il présente actuellement dans sa galerie à Anvers. Les Saul Leiter qu’il présente à Fotofever sont une des illustrations de son travail et un exemple parfait de l’impossible séparation entre la photographie et l’art tout court. Regarder ces merveilles est comme plonger tout à la fois dans l’idée même de New York, de l’art de la seconde moitié du vingtième et dans un univers ou l’homme, la ville, et la couleur fusionnent pour ne faire qu’un.

Box Galerie

«Mes petits», «Ma famille», «Mon oncle» c’est ainsi que l’on parle des artistes chez Box Galerie à Bruxelles. Alain d’Hooghe, par le biais de la musique, de la presse, puis de la presse photo… est tombé par hasard dans le bain photographique il y a quelques décennies. Après une vie passée dans et par l’image, avec son ami et associé Stefan de Jaeger, il continue à défendre sa «famille», ses photographes comme un seul homme. Demandez lui de vous indiquer une préférence et, rapide comme l’éclair, il vous répondra sans réflechir «comment voulez-vous que je choisisse parmi mes enfants ?» La présentation du stand est d’ailleurs construite comme un cabinet de collectionneur, les clichés se succèdent avec peu d’espace entre eux, on y retrouve, comme dans une grande famille, un esprit commun et ses différences. Michael Kenna, Alberto Garcia-Alix, Isabel Munoz côtoient Olivia Dury (de l’agence VU) ou encore « l’oncle David Fink ». Le site de la galerie est aussi représentatif que leur stand et permet en passant d’un artiste à l’autre de saisir ce qu’une ligne éditoriale cohérente signifie en termes de choix photographiques.

Le monde de Galila

Fotofever a choisi de donner de la place aux collectionneurs. De nombreuses visites chez des collectionneurs privés (Maison particulière, collection Servais…)et dans des institutions (Bozar, Musée de la photographie de Charleroi, Fotomuseum d’Anvers…) ont été organisés en marge de la manifestation pour stimuler la pulsion de collection… Sur la foire, un grand stand était consacré à cette adorable pathologie. La pétillante et dynamique Galila Barzilaï Hollander qui, avec un sourire de satisfaction dans le regard me dit «collectionner …les collections», présentait pour la première fois au public une petite sélection de sa collection sur le thème o combien approprié de l’oeil. Ainsi, toutes les photos et vidéos présentées comportaient une référence visible à cet outil aussi indispensable pour l’artiste que pour le collectionneur.

En fait, la pathologie de la collection, travers o combien agréable chez ceux qui en souffrent, nait souvent d’une rencontre avec une oeuvre, puis deux, puis trois (dixit la collectionneuse). Il a suffit d’un hasard, d’un coup de foudre sur une foire à New York pour que l’art contemporain rentre chez elle pour ne plus en sortir. Il est évident que, pour cette femme pleine d’esprit, collectionner se fait avec autant de rigueur que d’humour, voir même, un soupçon d’auto-dérision. Ainsi, s’est elle amusée à recycler les innombrables cartons VIP qu’elle a accumulée pendant des années de fréquentations sur les foires d’art en les collant sur une voiture hors d’usage, transformant ainsi un épave en authentique voiture d’art recyclée . Ce composite (présenté à côté de son stand pendant Fotofever) qui possède sur le siège arrière un superbe écran plat qui passe en boucle les vidéos de la collection trône d’ordinaire…dans son jardin. Il est plaisant de voir une collection être menée avec autant de rigueur que de joie, donnant ainsi une image bien sympathique du collectionneur.

Pure fine arts
Galeriste et entrepreneur

Irving Penn d’un côté, Jean-Sebastien Lallemand de l’autre et Jean-Daniel Lorieux au milieu. C’est un mélange étrange de bon gout et d’opportunisme que présente Gailord Bovrisse à Fotofever. C’est l’occasion aussi de discuter avec un jeune marchand qui assume autant ses choix, ses passions que son ambition. Et cela semble lui réussir. La où la plupart des marchands se plaignent de la conjoncture, Bovrisse ne s’en plaint absolument pas. Non seulement il vend bien, mais il crée aussi son propre marché.

Par exemple, les oeuvres de Jean-Daniel Lorieux qu’il présente à Fotofever font partie d’une exposition qu’il a monté et financé au Palais des beaux Arts de Bruxelles en juin dernier. Cette exposition lui a permis de «vendre» cette exposition l’année prochaine à Shanghai, à Moscou, et certainement à Paris. Ce jeune marchand sait définitivement faire des affaires, mais a tenu à ce que l’accès à l’exposition à Bruxelles soit gratuit pour tous. Parce que l’art, dit-il, doit être accessible à tout le monde. Ses origines modestes et son parcours de self-made man, avec ses haut et ses bas qui l’amenèrent de sa Bretagne natale à Tokyo, à Hong-Kong et Miami ne sont certainement pas étrangères au fait qu’il ait pensé à ceux qui aiment l’art sans avoir les moyens de se l’offrir. Il est vrai que son schéma de rentabilité se situe ailleurs…De la même manière, ses ventes de «classiques», comme cette superbe pièce d’Irving Penn vendue 80 000 euros sur la foire, lui donnerait la marge nécessaire pour défendre des artistes qu’il affectionne comme Lallemand ou le japonais Motoki Lee. Je rencontre sur son stand le photographe Thomas Dorn qu’il vient de signer pour ses ventes à l’étranger. Ce même Thomas Dorn qui a fait un travail remarquable depuis plusieurs années en collaboration avec Isabelle Derigo.

Cette facilité à passer d’un univers à l’autre vient certainement de son expérience de peintre et mais surtout…de marchand spécialisé en art contemporain depuis 10 ans en Asie et aux Etats-Unis. Il est fascinant que ce genre de personnage, résolument dans l’air du temps par son absence de limitation, perce sur le marché. Nous sommes peut être en train d’assister, pour le marché de la photographie, à ce même passage progressif de l’artisanat au marketing. Il nous reste à espérer que ces changements, qui ne sont pas forcément négatifs, permettront aux artistes et à la photographie de continuer à se développer sans avoir l’oeil rivé sur les cours de la Bourse…

Matthieu Wolmark

Matthieu Wolmark est un journaliste français, collaborateur du website du Pariser et metteur en scène de films documentaires.

fotofever Brussels
Du 4 au 7 octobre 2012
Tour & taxis – shed 1
avenue du port 86c
B1000 Brussels
Belgique

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