Notre collaborateur Thierry Maindrault est aussi photographe et commissaire d’exposition.
ll présente jusqu’au 21 janvier 2024 une retrospective de Silvano Ruffini dans le site exceptionnel du Forte di Bard dans la vallée d’Aoste, un château spectaculaire qui est devenu l’un des principaux centres pour la photographie en Italie.
Voici son texte et son choix d’images.
Exposition
Cette exposition se trouve être la première qui regroupe, en un même lieu, différentes collections de Silvano Ruffini. Quelques-unes, de ces collections, ont déjà fait l’objet de nombreuses présentations au public à travers des festivals, des expositions collectives ou des présentations personnelles. Certaines de ces collections ne sont présentées ici que très partiellement comme « Natalino », « Valle dell’Omo » et « La mia galleria di ritratti ». Les deux autres ensembles sélectionnés, « Color of Air » et« American Dream » sont en première exclusivité pour le Forte di Bard.
Le choix de ces cinq collections, parmi toutes les autres, a été dicté par l’idée de vous laisser découvrir différentes étapes dans le parcours photographique. C’est une sorte de minirétrospective. L’auteur présente cette hétérogénéité du talent reconnaissable et incontournable chez les vrais créateurs photographes. Ainsi, ce parcours vous propose quelques touches de la vaste palette de Silvano, entre couleur et noir et blanc, entre campagne et ville, entre immobilisme et action.
Biographie
Silvano Ruffini fait partie des personnages à part dans l’univers de la photographie. L’homme est un passionné avec un podium garni par le football, la photographie et les voyages. C’est donc en toute logique que cet hyperactif à la curiosité permanente, cherche depuis sa jeunesse à immortaliser toutes ses découvertes. Ses activités professionnelles très prenantes, ses autres passions et sa méconnaissance des milieux « artistiques » l’ont longtemps empêché de faire valoir ses créations photographiques. C’est seulement depuis le nouveau millénaire que ses œuvres ont été remarquées puis mise en valeur dans des expositions internationales et dans diverses parutions. Naturellement très réservé et dans le doute permanent sur la mise en valeur de ses travaux, il a rejoint le collectif international de créateurs Optim’Art. Il restera comme le témoin pertinent qui va fixer l’invisible dans un sujet qui restera banal pour les yeux du plus grand nombre atteint de cécité. Silvano est un des photographes de l’oubli et des oubliés, qu’il nous offre de revoir autrement, ce qui était devant nous, avant une disparition définitive. Il va ressusciter notre imagination avec le contenu de ses images.
« Color of Air »
C’est la première fois que cette collection, réalisée en 2017, est présentée au grand public. C’est la deuxième fois que Silvano Ruffini présente ses recherches et ses travaux en couleur. La première fois, c’était pour son travail, sur la symbiose entre la couleur et le mouvement, avec « Sforzi dell’Arte » exposée à Avignon en 2012, puis à Carpentras en 2015, actuellement à Ormesson [près Paris]. Cette fois, l’ensemble des prises de vues, de sa seconde collection couleur, a été réalisé sur une seule manifestation. Le monde magique des montgolfières avec leur profusion de formes colorées. Une saturation de couleur, due à la pureté de l’air riche en ultraviolets, a été fixée durant la préparation des envols.
Les jeux de couleurs assurent des compositions qui nous envahissent, abandonnant volontairement les présences humaines à des solitudes perdues dans les images.
Une utilisation judicieuse de la lumière en fait la vedette incontestée de la construction et de la composition des photographies. Elles peuvent en suite offrir leurs divers niveaux d’interprétation pour tous les publics, même les plus hétérogènes. L’effet hypnotique est garanti.
« American Dream »
Comment deux groupes d’images en totale confrontation peuvent-elles nous interpeler avec une telle force ? Tout oppose les deux séries de cette collection sur les États-Unis d’Amérique. L’une provient d’un état de l’ouest, les autres arrivent de New York sur la côte est. Si tout l’ensemble reste dans la catégorie des photographies dites rues, d’un côté le sujet traite des humains pendant que de l’autre côté les modèles sont architecturaux. Au niveau photographique, dans un sens, l’ensemble photographique est traité avec rigueur en noir et blanc alors que l’autre partie fait l’objet d’un traitement couleur subtilement dosé avec application.
Les photographies de Silvano sont poignantes avec cette beauté exprimée et si redoutable, pour nos émotions. L’expression de la misère matérielle et psychologique des sans domicile, dans une des régions économiquement riche de la planète, nous questionne. La seconde série semble prémonitoire avec la morgue et l’arrogance de ces bâtiments gigantesques ancrés à New York, sous des cieux lugubres et angoissants.
Après la contemplation et la confrontation de ces images fortes, l’interrogation surgit sur ce rêve américain qui fait pourtant fantasmer la plus grande partie des habitants de notre planète.
« la mia galleria di ritratti »
Presque tous les créateurs, un peu reconnus, doivent cette reconnaissance à une ou plusieurs collections cultes. Si nous évoquons Silvano Ruffini, ce sont indubitablement ses portraits, très souvent volés à l’insu des sujets photographiés. Tous ces personnages, avec une apparence fort éloignée des critères (objectivement invérifiables) de la beauté, qu’il magnifie avec la rigueur de ses traitements photographiques.
C’est en effet, à travers un ensemble de procédures photographiques qu’il a concocté, qu’il obtient de ces visages atypiques des œuvres d’une grande beauté. Ce créateur pérennise, avec humour, mais sans jamais tomber dans le ridicule ou l’irrespect, des personnages glanés pendant tous ses voyages. L’usage du noir et blanc simplifie la lecture initiale par des choix de contrastes puissants qui frisent la gravure. Les séries en couleur, dans cette même collection, sont photographiées dans les mêmes conditions ; mais, elles nous offrent un aspect plus documentaire dans un reportage plus ethnique. Dans tous les cas, les images de Silvano nous apportent un témoignage qui engendre la réflexion.
« Natalino »
Il est acquis que Silvano Ruffini est un des meilleurs photographes contemporains pour restituer la beauté, sous toutes ses formes, même dans ses aspects les plus tragiques. Cette collection pastorale, dans un traitement photographique quasi minimaliste, nous entraîne dans un autre univers bien loin de notre quotidien et de ses préoccupations aussi permanentes que futiles. Longues discussions et approche en douceur pour se faire adopter par tous les sujets immortalisés. Créer sans précipitation une relation sincère, partager des évidences inconnues, reprendre plusieurs fois la saisie des images, attendre patiemment la symbiose des multiples éléments, c’est cela une véritable création photographique. C’est cela l’incontournable différence avec le smartphone, à quatre sous et son bouton minute. Dans ce véritable cas d’école, l’œuvre photographique permet d’entrer dans une fiction humaine à partir des errements journaliers d’êtres aussi exceptionnels qu’oubliés.
Dans les images présentées, la prose a abandonné l’intégralité du message à la poésie.
La pureté de l’esprit et de ses divagations s’imposent devant ce qui pourrait être un exposé rationnel et documentaire d’une vie d’ailleurs.
« Valle dell’Omo »
Cette présentation reprend quelques extraits, un peu magiques, de cette collection connue dans le monde entier à travers plusieurs publications internationales et qui a déjà été exposée. L’ensemble est composé de photographies prises par instinct dans des conditions techniques souvent peu propices à la réalisation de
portraits. La qualité des images, ajustée sur le coup d’œil et les réflexes de Silvano Ruffini, transforme ce qui pourrait être de banales photographies de souvenir en de véritables interrogations. Une fois de plus, la lumière est toujours positionnée pour apporter de véritables modèles sur des perspectives parfaitement équilibrées.
Dans chacune des images de cette collection, la pénétration du lecteur dans l’image passe par une contemplation jusqu’à ce que l’imprégnation visuelle sorte le lecteur complètement de son contexte environnemental. C’est ainsi que naturellement s’établissent des dialogues sur les discours émanant de chacune des photographies.
Texte par Thierry Maindrault
Commissariat de l’exposition Thierry Maindrault
EXPOSITION
Forte di Bard
11020 Bard
Valle d’Aosta (Italia)
du 16 décembre 2023 au 21 janvier 2024
ouvert du lundi au vendredi de 10.00 à 13.00 et de 14.00 à 17.00
téléphone + 39 0125 833818
https://www.fortedibard.it