La fondation Aperture a ouvert jeudi 24 février grandes ses portes et ses murs au projet For Freedoms. Retour sur l’exposition Collective Thinking, qui réunit des collectifs artistiques et militants du monde entier avec pour ambition de concevoir la photographie comme un dialogue ouvert sur les problématiques de notre monde.
Invitant For Freedoms comme maître de cérémonie, la fondation Aperture n’est pas intervenue dans la proposition artistique. Tout juste prête-t-elle ses murs ! Chaque collectif montré y présente ses travaux, tous ont leur mur où œuvres et supports sont présentés de manière libre. Cette joyeuse cacophonie s’orchestre parfaitement. Le regardeur déambule dans la grande salle rectangulaire de projet en projet, tout en étant confronté à des sujets diverses : le problème racial aux Etats-Unis, la crise migratoire au Moyen-Orient et en Europe, les revendications égalitaires des minorités sexuelles ou encore le changement climatique. Des problématiques et des symboliques fortes traitées par l’image.
Ainsi, le collectif Invisibile Borders, dirigé par la photographe Emeka Okereke, présente les travaux d’artistes transafricains sur le thème de la frontière et de la bordure. La frontière y est pensée comme une discrimination, une contrainte à la liberté et une domination violente. Les travaux donnent une image foisonnante de cette jeune photographie africaine encore méconnue, quoique de plus en plus sollicitée.
De même, les photographies saisissantes du groupe Kamoinge, collectif de photographes afro-américains né en 1963. Celles-ci sont saisissantes de gravité et de poésie. Le collectif se considère comme le « premier ensemble de photographes noirs » et a notamment pesé pour contribuer à modifier la vision du problème racial aux Etats-Unis, tout en donnant une image intime et militante des personnes photographiées. Leur sélection figure parmi la meilleure, tant leurs photographies révèlent des artistes aguerris et passionnés.
Rawi(ya) montre aussi de belles choses ! Littéralement, cette contraction de l’arabe littéraire signifie « celui qui raconte une histoire ». C’est le griot africain, le conteur européen, entendu cette fois-ci comme celui qui manie l’image pour révéler des pans de vies et des narrations individuelles. Le collectif (presque) strictement féminin contribue lui aussi à changer notre perception du Moyen-Orient ; bien que documentant des vies quotidiennes en prise avec le conflit et la violence, il ressort davantage de cette sélection l’allégresse des moments du quotidien, l’espoir dans le futur ou la simple beauté de paysages capturés. Leurs photographies creusent et renversent profondément nos représentations de ce monde, à rebours des images inquiétantes véhiculées par bon nombre de médias. Bienfait de la photographie que d’entreprendre une documentation poétique du monde dans toutes ses formes de vie !
WRRQ se conçoit quant à lui comme un mouvement intercommunautaire queer. Ce mouvement a rassemblé de nombreux documents, photographies personnelles, pancartes et slogans dans ce qui semble être une grande collecte de leurs actions, avec comme point d’orgue la projection sur un écran de leurs différentes luttes : changer en profondeur la culture américaine et contrer par la liberté et l’art les menaces de misogynie, d’homophobie et transphobies latentes.
Initié par Charles Fréger, le collectif Piece of Cake rassemble quant à lui un très large panel de photographes (quatorze pays différents !) réunis une à deux fois par an et communiquant ensemble constamment. Si le projet collectif n’a pas de vocation artistique, il symbolise toutefois la volonté de dialogue par l’art au cœur de cette exposition. Piece of Cake s’intéresse notamment aux problématiques propres à la production artistique et échange sur les médiums et les formats de la photographie.
Enfin, il faut finir avec le EverydayClimateChange. Réunis sur Instagram, les clichés des différents photographes présents sur chaque continent du monde cherchent à documenter le réchauffement climatique par ses initiatives positives individuelles et ses changements et traces indélébiles marquant nos paysages. Là encore, les images sont saisissantes.
À l’initiative de ce projet, For Freedoms constitue lui-même un projet porteur de promesses. Pensé comme un Super-PAC – ces organisations levant des fonds pour leur candidat à chaque élection présidentielle américaine – For Freedoms cherche à collecter de l’argent pour introduire la photographie et l’art dans l’espace public en achetant des emplacements publicitaires. En s’instituant dans cette exposition, le projet démontre sa volonté de dialogue tout en exposant l’avancement de ses projets.
Ce rapide tour d’horizon des différents collectifs montrés ne saurait remplacer l’expérience plaisante, tant visuelle qu’intellectuelle, de l’exposition. For Freedoms et l’ensemble des collectifs ont rendu là un travail magnifique. On y découvre leurs travaux si différents, avec en leurs gênes les formes de vie diverses de nos mondes et la germination d’une résistance politique par l’échange et l’art.
Au-delà de ses murs, l’exposition s’animera aussi de discussions, ateliers et forums jusqu’au 8 mars. À l’instar des expositions actuelles à l’ICP ou du New Museum, la Fondation Aperture milite pour une refondation de l’exposition comme moment politique. Problématiques de société et enjeux mondiaux, visions de l’artiste et du citoyen ou simple documentation des luttes sont autant de thèmes qui, ces jours-ci, s’incarnent dans des expositions dissonantes et admirables.
Arthur Dayras
Arthur Dayras est un auteur spécialisé en photographie qui vit et travaille à New York, aux Etats-Unis.
Collective Thinking, For Freedoms
Du 22 février au 9 mars2017
Aperture Foundation
4th Floor, 547 W 27th St
New York, NY 10001
USA