Ce lieu splendide consacré à l’artiste protéiforme hongrois présente la rencontre de deux grandes personnalités, celle de l’artiste Alexander Camaro avec le photographe allemand Lothar Wolleh. On y retrouve des portraits iconiques du peintre réalisés au Hasselblad et y savoure une facette couleur de Wolleh demeurée dans la pénombre.
Alexander Camaro (1901-1992), bras croisés, t-shirt en résille, pantalon blanc et regard ailleurs : c’est ainsi que le photographe Lothar Wolleh (1930-1979) choisis d’immortaliser l’artiste plasticien, assis devant sa table de travail rabattue que l’on retrouve aujourd’hui intacte. Celui qui a prêté son regard aiguisé aux grands noms de toute une époque – Magritte, Baselitz, Richter, Niki de Saint Phalle et tant d’autres, rencontre Camaro à Berlin dans les années soixante. Si les deux hommes se vouaient une admiration réciproque, ils partageaient également dans leur art l’ombre et la lumière comme reflet de leurs perceptions singulières du monde.
Ce portrait – parmi une série de mises en scène précises de l’artiste plasticien orchestrées par Wolleh, Camaro se l’est par la suite approprié, armé de ses crayons gras pour en faire une œuvre qui incarne la rencontre de deux parcours, l’union de deux univers. Alexander Camaro en profite pour s’accessoiriser d’un chapeau haut de forme et d’un nœud papillon blanc, comme pour retranscrire un versant intérieur insaisissable à l’œil nu. Et c’est ainsi que la table transformée en roulette devient la porte d’entrée de son univers fantasmagorique.
Inspiré à ses débuts par l’expressionnisme qu’il découvrit auprès de son professeur de la première heure Otto Mueller, Camaro ne s’est jamais réclamé d’aucun style. Il n’aimait pas les cases et préférait façonner son identité artistique aux libertés qu’il s’était lui-même octroyées. Le cirque mais également la danse et le théâtre ont toujours fait partie de sa vie. Pour ce passionné, la peinture était une pratique transversale qui lui permettait de rendre hommage aux arts interdisciplinaires tout en gommant leurs frontières.
De l’autre côté de l’appareil photo, Lothar Wolleh, l’un des plus grands portraitistes allemands de l’époque, a une façon de photographier millimétrée. Une maîtrise incontestée du cadrage pour cet acrobate des clairs-obscurs. Son appréhension du médium photographique aura largement été marqué au fer rouge par un événement de sa jeunesse : six années de captivité dans les mines de Sibérie. Soupçonné d’espionnage durant les années cinquante par les Russes, le jeune Berlinois est envoyé dans le camp pénitentiaire de Vorkouta – son art sera pour toujours imprégné par cette expérience de captivité, cette ultime rencontre avec l’obscurité.
La lumière, ce sont ces grands tirages issus du IIème concile œcuménique du Vatican mené par le pape Jean XXIII que Lothar Wolleh est missionné de documenter durant les trois années, de 1962 à 1965. Flous, grainés, les tenues ecclésiastiques des religieux éblouissent de leur couleur framboise les murs immaculés. Plus que le moment, les photographies qui donnent à voir la portée symbolique d’un événement qui marquera le souffle nouveau de l’Église catholique, notamment en usant de techniques comme la surimpression. Wolleh parvient ici le temps de ses prises à défaire la religion de ses chaînes et la mène au plus près de son essence.
Ce reportage plein de spiritualité autant sur la forme que le fond est ponctué par des œuvres d’Alexander Camaro dont la fameuse “Shadows of Light” qui prête son nom à l’exposition. Peinture et photographie font alors miroir et le réel et son envers s’entremêlent dans un beau dialogue.
“Shadows of Light” – Alexander Camaro et Lothar Wolleh à la Fondation Alexander & Renata Camaro jusqu’au 6 octobre 2023.
La Fondation organise une table ronde le mercredi 27 septembre à 19h en présence de Matthias Harder (directeur-conservateur de la Fondation Helmut Newton, Musée de la photographie, Berlin), Oliver Wolleh (Lothar Wolleh Estate, Berlin), Wulf Herzogenrath ( historien de l’art et conservateur) et Paula Anke (Fondation Camaro, Berlin).
Alexander und Renata Camaro Stiftung
Potsdamer Straße 98A,
10785 Berlin
https://camaro-stiftung.de/