Jusqu’au 15 septembre, Florent Mattei présente son exposition à Nice.
Dans ses premières expositions personnelles (The World is Perfect, Le Parasite), il y avait déjà une volonté d’évoquer le monde qui l’entoure tout en adoptant une position décalée pour mieux voir. Il y avait bien sûr des références fortes et évidentes comme celle au photographe américain Jeff Wall qui le stimule pour ses mises en scène d’instantanées de vie, pour son talent à saisir la puissance, la transcendance d’un moment. Mais très vite, il utilise cette force pour livrer des œuvres plus ancrées dans l’actualité, face à cette violence du monde. Il veut parler aux gens car son art se veut populaire.
Il n’est donc guère étonnant d’y entendre certaines mélodies familières en tendant l’oreille. Touché dans sa jeunesse par l’arrivée du R.A.P. politique, les groupes aux « Explicits Lyrics » tels que Public Ennemy et N.T.M. vont le bercer jusqu’à la chanteuse anglaise Kate Tempest aujourd’hui. S’il y a le « rap conscient », ce rap qui raconte la société en usant de l’arme poétique et en samplant d’anciens morceaux musicaux, il pourrait très bien y avoir une photographie consciente dont Florent Mattei en serait un des hérauts. Car lui aussi use de la poésie et réinterprète des formes historiques de la photographie. Dans la série « Poussières », le choix de la mise en scène, du studio, du décor renvoie à la grande histoire de la photographie, celle de la fin du XIXe siècle, cette décennie au cours de laquelle Louis Nadar, Henry Peach Robinson, Hippolyte Bayard inventaient un nouveau médium. Réagissant à ces images de guerre au Moyen et Proche Orient que les médias reprennent en boucle, il cherche à les arrêter et « isoler dans le temps de la pose des attitudes, celles qui traversent l’Histoire… ». Ses images donnent alors à voir des civils (femme enceinte, familles, jeune homme…) figés dans des postures mais recouverts de poussières comme sortant d’un bombardement.
Contrairement à l’histoire politique et sociale qui s’inscrit dans une durée, l’actualité s’écrit au jour le jour, une information chassant l’autre. Ce processus qui tend à en banaliser, voire en neutraliser la portée, ce phénomène de répétition l’interpelle. « Acouphènes », l’exposition présentée cet été à la Galerie du musée de la photographie de Nice s’en fait donc l’écho où deux séries sont présentées en regard.
« C’était une espèce d’Oasis » (2018) reprend la forme du studio photographique itinérant de la fin du XIXe siècle. La série se situe en Corse. Florent Mattei déplace un fond peint représentant une plage déserte de Méditerranée dans différents paysages. « Il était important d’intégrer dans ce travail la facette performative du studio itinérant car les montagnes sont pour moi symboliques de l’itinérance, les chaînes montagneuses ayant été souvent choisies comme ligne de partage entre deux pays. Elles sont un terrain de marche et la promesse d’une autre vie, une fois passé de l’autre côté. » explique-t-il. Le paysage peint de la plage devient alors un mirage, venant prolonger parfois le paysage réel autour.
La deuxième série montrée cet été à Nice, recrée dans la rue des scènes de guerre et fait basculer les horreurs des bombardements dans la réalité de nos vies quotidiennes. Réalisé en noir et blanc, « Ici entre les débris des choses » (2016) a été réalisée à Nice quelques mois avant l’attentat de la Promenade des Anglais. Prémonition macabre qu’il est important de préciser. L’art, quant il est connecté à l’air du temps a parfois de funeste pouvoir de divination. Dans cette série, Florent Mattei, voulait se « mettre à la place de l’autre. » Intéressé par la géopolitique et passant beaucoup de temps à regarder des images de civils blessés dans des zones de conflit en Palestine et en Syrie, il a pensé « replacer ces scènes de guerre dans les rues de Nice, ville qui ne subit pas la même chose. » Ces images sont alors invariablement porteuses d’une histoire qui les dépasse.
C’est ainsi que sa dernière série, « Ici sous le même ciel » évoque de grands événements historique à travers différents slogans symboliques qui ont traversé le temps. Du « Non à l’Etat policier » en mai 68 au « Am I next ?» de 2016 aux États-Unis en passant par « Futuro », « We are here to stay », « La liberta esta cerca », il y a ce sentiment de révolte face à un modèle de société que « je voulais mettre en scène devant mon appareil pour célébrer ces mots qui racontent le monde d’aujourd’hui » dit-il. Ici, il s’éloigne du studio en choisissant un dispositif encore particulier. Des personnes lambda tiennent un panneau portant un des slogans et il les photographie au téléobjectif (500mm) à 2 ou 3km de distance à vol d’oiseau, et d’une position surélevée, celle de l’observateur. Puis, une fois la photo développée, il resserre dans le négatif sur le sujet pour en avoir un plan rapproché. Cela fait apparaître un grain important conférant aux images la dimension intemporelle des photos d’archives que l’imagerie populaire véhicule. Cette image salie ne peut alors être datée, coupée de repères temporels ou géographique, mis à part la langue dans laquelle les slogans sont écrits.
Ainsi, avec cette envie de redonner à l’artiste son rôle d’agitateur et de relais d’un sentiment populaire qui s’exprime, il fait réagir. Ses séries évoquent un monde en guerre, agité, faisant face à ses fantômes et ses démons mais qu’il coupe de repères temporels et géographiques, transformant ses photographies en symboles purs qui exploseraient d’une vérité brute. Et c’est en ce sens qu’il nous parle du monde de demain et semble nous dire que quoiqu’il advienne, il nous appartient.
Julien Camy
Florent Mattei présente « Acouphènes »
Jusqu’au 15 septembre
Galerie du Musée de la photographie Charles Nègre
1, place Pierre Gautier
06000 Nice