Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Avec l’arrivée, déjà bien anticipée, du printemps, je vous propose, de sortir un peu des comportements incongrus du monde exponentiel de la Photographie. Si, pour changer, nous dissertions un peu sur la photographie, sur l’image photographique cela s’entend.
L’image photographique se résume à une perception de la vue à partir d’un impact naturel de lumière. Peu importe que cela provienne d’un support réfléchissant, d’une projection lumineuse sur un support ou de la filtration de cette lumière à travers un corps translucide. Il est admis que la qualification de photographie s’applique lorsque l’image restituée à elle-même été conçue à partir d’un, ou de plusieurs, rayonnements lumineux. Pour aujourd’hui, les fondamentaux du concept technique nécessaires s’arrêteront là.
Mon propos concerne la différence, des escarmouches jusqu’à parfois une guerre ouverte, entre les solutions analogiques ou digitales, lors de la saisie, de la manipulation, du stockage et de la restitution des images créées avec de la lumière. Pour cela, il est indispensable de bien comprendre comment un rayonnement est perceptible par une structure biologique. Comment des ondulations de longueurs différentes, sont reçues et décryptées par une cellule biologique. Il est à noter que toutes les structures moléculaires, de l’infiniment petit au gigantesque, sont sensibles et capables de réactions lorsqu’elles rencontrent une onde issue du nombre quasiment infini qui navigue dans l’univers.
Pour la vue, de nombreuses espèces vivantes possèdent un œil. Pour faire très simple, l’onde percute une cellule qui transmet un flux à des cellules cérébrales qui analysent, échangent, amalgament pour reconstituer ce que nous appelons une image. Le principe est le même pour toutes les ondes, même celles invisibles. C’est le cas des ondes sonores, des diverses classes de radiations, etc. Cette entrée en matière est indispensable pour bien comprendre la suite qui repose sur un élément essentiel : le cerveau.
Dans le cas de reproductions dites analogiques, la technologie va s’efforcer de transférer le plus fidèlement possible l’action des ondes à travers des interpréteurs physiques jusqu’à notre cerveau. Cela sera une lentille optique, un sel d’argent et quelques produits chimiques, pour un des exemples connu de tous. Mais la vue n’est pas la seule concernée. Pour la musique, un instrument, un microphone et une galette de cire gravée seront utiles aux capteurs auditifs. Ainsi, les évolutions technologiques permettent des restitutions de très grandes qualités et souvent adaptées à un usage intellectuel très précis. Les modulations vibratoires initiales sont continues et se propagent et se transfèrent toujours de façon continue, sans fragmentation.
Ce qui n’est pas du tout le cas du procédé digital, fréquemment appelé numérique. Cette technique, dite logique, consiste à fractionner les ondes pour les réduire à des suites temporelles et qualitatives limitées à de seules alternatives. Ces dernières se limitent à des zéros et des uns, des blancs et des noirs, des ouvertures et des fermetures. Les positions médianes, les flux régulés, les adaptations et autres nuances sont exclus. Le procédé repose sur des constructions logiques pour tromper nos cerveaux qui vont devoir reconstruire l’impact d’une onde en assurant la reconstitution supposée de son état naturel. Pas de cris d’orfraies, la reconstruction cérébrale d’ondes dissociées existe depuis très longtemps, la trame d’imprimerie et le pointillisme participent de cette obligation de reconstruire à partir d’informations fracturées. Dans ce domaine également, l’utilisation de nouvelles technologies, très perfectionnées, nous offre des bases d’interprétations bien plus performantes que nos propres capacités physiologiques.
La guerre du pixel contre l’iodure d’argent, ou du silicium contre la gélatine, n’a aucune raison d’exister. Dans tous les cas, le résultat final enregistré par notre mémoire peut être intéressant, si la photographie est bonne bien entendu !
Non, la différence est ailleurs et elle existe bien. Toutefois, elle ne mérite nullement une bagarre idéologique, voire économique. Cet écart entre les deux résultats obtenus se situe objectivement dans la perception de l’œuvre et dans l’émotion qu’elle peut créer. Car même si notre encéphale reconstruit une onde déstructurée pour nous en cacher le fractionnement, il n’empêche que ce fractionnement réel est bien enregistré par notre œil. Il faut noter que la perte de nuances est considérablement accentuée par les compressions mathématiques qui s’imposent pour des raisons de stockage de l’information. Cette compression mathématique détruit, de façon inexorable, un grand nombre d’informations pixelisées. Même avec des algorithmes de plus en plus performants, il est quasiment impossible de reconstituer l’information d’origine que le cerveau doit ensuite reconstruire pour s’imaginer l’œuvre d’origine.
C’est ainsi que le transfert mécanique de l’onde, même s’il est légèrement parasité, garantit une fluidité et une souplesse jusqu’à présent inégalées par les fichiers digitaux. Les mélomanes, comme les amateurs d’œuvres photographiques, savent tous que les microsillons « vinyle » et que les feuilles de coton « baryté » préservent au mieux les sensations délivrées par une œuvre (encore une fois, une véritable œuvre, bien entendu). L’éraflure d’un fleuret moucheté ou le tranchant d’un glaive affuté se doivent d’être bien adaptés aux résultats recherchés dans la construction et la réalisation d’une image. Le choix se doit de tenir compte de l’usage de l’image, de la rapidité de sa mise en œuvre, de ses difficultés de réalisation et bien d’autres critères de l’appréciation intime d’un photographe compétent.
Il reste deux points sur lesquels je pense que la réflexion de tout un chacun doit intervenir avant de faire des affirmations pour s’imaginer connaisseur, lorsque ce n’est pas s’affirmer expert.
Le premier prétendrait que l’approche digitale de la photographie, avec l’utilisation de logiciels, tous plus merveilleux les uns que les autres, permettrait aux créateurs de réaliser enfin les œuvres de leurs rêves. Certains allèguent que cela leur était techniquement interdit, aux temps d’avant. Je crois pouvoir prétendre que ces créateurs-là se mettent le doigt dans l’œil, en sus d’une mémoire courte, ce qui n’est guère pratique tant pour la prise de vue analogique que digitale. Les collègues n’ont pas attendu le Messie informatique pour obtenir des conceptions originales et sublimes. Les célèbres oignons de Denis Brihat, les triples solarisations que j’ai pu réaliser et bien d’autres réalisations de photographes authentiques (siècle dernier), démontrent que la manipulation du pixel, aussi intéressante soit-elle, n’est certainement pas l’unique panacée.
Le second point concerne la diffusion des images pour les offrir au plus grand nombre, ce qui me semble fort louable. Le digital permet à tous d’apercevoir sur son téléphone portable ou son écran d’ordinateur, des reconstitutions digitales d’images. Ce sont tous ces fichiers que l’on fait circuler dans des réseaux très complexes reliés entre eux par d’énormes boites énergivores parsemées sur la planète. Il ne s’agit plus de doigt ; mais, d’un véritable bâton glissé dans les roues. Pour les raisons évoquées, ci-avant, la photographie restituée dans ce cadre reste d’une médiocrité totale. Au niveau technique, c’est objectivement incontournable. Un écran de téléphone ne pourra jamais proposer, pour un œil humain, une photographie conçue pour un tirage, dit « 80/100 ». Même pour sur grand écran dit « 5K » ou plus, c’est une gageure. L’autre aspect nous concerne comme photographes. Alors que nous avons parfois passé plusieurs heures (je ne parle pas des fumistes), voire plusieurs jours, à la réalisation d’une œuvre, comment peut-on la jeter en pâture dans les circuits digitaux ? Nous savons très bien qu’à l’arrivée la restitution, en bout de chaine, sera effroyable. Un des sommets de ce non-sens se trouve dans ces sites « internet » de collègues purs et durs, ne travaillant qu’en argentique (c’est-à-dire analogique), qui proposent la vente, sur leur site internet personnel, de leurs chefs-d’œuvre certifiés non pollués par une opération digitale.
Ça fait un bon moment que le bon sens semble nous avoir abandonnés. Mais, ce ne sont pas les principes analogiques ou digitaux qui scient la branche photographique, les egos de pseudo-photographes me paraissent assez doués pour la scier eux-mêmes.
Thierry Maindrault, 12 avril 2024
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