À travers onze expositions représentatives de la diversité des pratiques photographiques d’aujourd’hui et du XXe siècle, les Promenades photographiques de Vendôme invitent les spectateurs à s’interroger : « Qui est photographe ? » Parcours dans cette 12e édition avec nos coups de cœur et un entretien avec Odile Andrieu, directrice artistique.
« Qui est photographe ? » Cette question qui a servi de fil conducteur à Odile Andrieu pour l’élaboration de la programmation 2016 ne trouve pas une réponse mais plusieurs propositions. Celles-ci mettent à l’honneur le reportage, des démarches plasticiennes ou encore des amateurs, des plus éclairés à des néophytes qui ont suivi des ateliers tout au long de l’année à Vendôme. Ce festival gratuit ne perd jamais de vue son ambition d’être pédagogique et de donner autant à voir qu’à réfléchir.
Les beaux lieux d’exposition que sont le Grand et le Petit Manège de Rochambeau, la Chapelle Saint-Jacques, le parc du Château et l’Orangerie et le Musée & Cour du Cloître, offrent chacun des possibilités de scénographie propres que le public peut découvrir au fil d’une promenade pédestre. Témoin, la classique exposition de Weegee au Musée du Cloître issue de la collection Michèle et Michel Auer qui offre un panorama du savoir-faire de ce photographe d’origine hongroise qui aimait photographier la nuit et les crimes dans le New York des années 30 et 40. Un ensemble d’images, connues et moins vues, qui ont aujourd’hui valeur documentaire.
A quelques pas on tombe sur la Chapelle Saint-Jacques investie par Thomas Sauvin, une exposition-installation très réussie qui habite parfaitement cet endroit solennel. Ce collectionneur de photographies de familles chinoises des années 1980 à 2000 a su tirer partie de cet espace exceptionnel : au mur un découlé de tirages commençant par un nouveau-né et s’achevant par un portrait mortuaire – comme l’histoire d’une vie, ou plutôt de nos vies –, dans le chœur, un tirage géant imprimé sur tissu, et au centre un plateau qui accueille des centaines de négatifs que le public est invité à toucher et visualiser avec un compte fil. Car c’est là le cœur de cette collection que Thomas Sauvin sauve de la destruction : des films négatifs qu’il récupère dans un site de recyclage de Pekin. À partir de cette matière première, il élabore différents projets artistiques, tantôt seul comme ici à Vendôme, ou avec d’autres artistes, comme on peut le voir actuellement à la galerie Binôme à Paris. Au-delà du plaisir de découvrir ces images intrigantes et finalement tellement ordinaires de la vie des Chinois après la révolution culturelle, c’est une réflexion sur les notions de sauvegarde et de mémoire qui est posée à chacun d’entre nous qui pratiquons aussi la photographie de famille.
Aux Manèges, accueillis par l’œuvre in situ de Madame Moustache, il ne faut pas manquer dans la profusion d’images, celles de Manon Régnier, une des lauréates du Prix Mark Grosset 2015, ainsi que l’exposition collective présentant les travaux de différentes écoles dont les Gobelins et Agnès Varda. Enfin, dans le parc du Château, après la récréation visuelle qu’offrent les images du Figaro magazine, place au sujet grave et sérieux sur les migrants d’Eric Bouvet à voir en plein air également : c’est aussi cela les Promenades photographiques de Vendôme, la possibilité de découvrir le monde et l’actualité.
L’Oeil de la Photographie : Pourquoi ce thème « Qui est photographe ? », est-ce une façon d’interpeller le public ?
Odile Andrieu : Cette question s’est imposée comme thème à partir de différentes réflexions. Au fil des années d’élaboration du festival, en effet, je me suis rendue compte que je programmais des photographes professionnels mais aussi des travaux de personnalités qui n’étaient pas photographes et avaient un vrai travail photographique. Par exemple, Jean Baudrillard, exposé en 2006, dont l’œuvre documentaire et plasticienne était très peu connue. Je fais également un autre constat : en France on a souvent tendance à mettre les gens dans des cases, ce qui est dommage. Enfin, selon moi, il n’y a pas de concurrence entre les amateurs et les professionnels. Il ne s’agit pas de les comparer mais plutôt de se dire qu’il y a des personnes qui ont fait œuvre avec la photographie ou qui ont une pratique de la photographie parallèlement à une activité principale qui leur permet de gagner leur vie.
ODLP : Des exemples dans la programmation 2016 ?
OA : Cette année, le public peut ainsi découvrir Philippe Rochot qui, tout en couvrant les conflits pour la télévision en Afghanistan, Irak ou encore au Liban, a documenté le monde avec un appareil photo. Ces images n’ont jamais été présentées. D’où mon choix de montrer ces trésors cachés… Dans un autre genre, Matthieu Ricard a lui aussi plusieurs vies professionnelles en plus de la photographie, tout comme Yann Datessen qui, parallèlement à son métier d’enseignant à la Sorbonne, est plasticien… C’est peut-être aussi l’époque qui veut cela : aujourd’hui le métier est d’une telle précarité que les photographes qui cumulent plusieurs activités sont de plus en plus nombreux. C’est même une nécessité pour parvenir à gagner sa vie.
ODLP : Et le fait qu’aujourd’hui faire des photos est à la portée de tous et à tout moment avec les téléphones est également un facteur déterminant ?
OA : Ce phénomène a aussi nourri ma réflexion, en effet. L’image est partout avec les réseaux sociaux, les galeries virtuelles, les festivals qui sont de plus en plus nombreux… Tout cela repose la question de la professionnalisation. Raoul Hausmann se la posait déjà dans les années 30, et a refusé de se considérer comme un photographe professionnel. On peut aussi se référer au Photo Poche introduit par Elvire Péregot intitulé “Je ne suis pas photographe”…
ODLP : Le fait que les expositions sont gratuites démontre votre volonté de rendre la photographie accessible à tous… Cela compte lorsque vous élaborez la programmation ?
OA : Nous nous faisons forts d’être pédagogiques. Il faut amener le public à comprendre. C’est un des enjeux de l’Atelier Des images et des mots mené tout au long de l’année avec des collégiens, des apprentis mais aussi des handicapés et des personnes socialement fragilisées. Cette année nous fêtons les 10 ans de cette initiative à travers une grande exposition rétrospective.
ODLP : Explorons maintenant les coulisses de la réalisation du festival à travers votre partenariat avec Picto qui dure depuis 10 ans…
OA : Au fil des années, c’est une véritable amitié qui s’est créée avec Picto parce qu’ils sont à nos côtés depuis longtemps. Clairement, le festival n’existerait pas si Picto n’était pas là. Tout est possible aussi grâce à la centaine de bénévoles qui nous rejoignent chaque année et à la fidélité d’autres partenaires comme Fujifilm. Avec Picto, chaque année nous menons une réflexion pour trouver les solutions sur le plan technique qui soient les mieux adaptées pour la réalisation des tirages.
ODLP : Quels défis le laboratoire a-t-il dû relever cette année ?
OA : Picto travaille parfois dans des conditions difficiles, en termes de délais mais on y arrive toujours ! Il a réalisé tous les tirages de cette édition, ce qui représente plus de 1 000 tirages. On a quasiment tous les supports : des dos bleus, des tirages sur papier japonais, tissu, des supports extérieurs, etc. Les Promenades photographiques ont grandi avec son service Picto Online. Au fil du temps on a vu s’améliorer et s’élargir les possibilités. Une anecdote : il y a quelques années, William Klein a cru que les tirages jet d’encre qu’avait faits Picto étaient ses propres tirages argentiques…
ODLP : Et dans le cadre du Prix Mark Grosset, l’implication de Picto est encore plus grande…
OA : En effet, 23 écoles internationales y participent, notamment du Japon, d’Argentine, d’Espagne… Celles-ci envoient directement leurs fichiers au laboratoire qui a un service spécifique. Picto les réceptionne et gère avec les étudiants en direct. Aujourd’hui, Picto fait vraiment partie de l’équipe…
ODLP : Tous les tirages sont réalisés par Picto Online ?
OA : Oui, tout est fait sur Picto Online. On a vu ce service s’améliorer d’année en année et s’adapter aux nouvelles demandes et exigences des photographes. Pour cette édition, on a commencé à travailler en mars et les derniers fichiers ont été envoyés quelques jours avant le début du festival. Pour les photographes qui ont des doutes, on fait des essais. Car même s’il s’agit de prestations en ligne, il a quelqu’un derrière.
ODLP : Dernière question : comment se porte le festival sur le plan économique ?
OA : Ce rendez-vous est bien installé mais l’équilibre est chaque année remis en cause. Tous les ans, je repars à la recherche de nouveaux partenaires…
Propos recueillis par Sophie Bernard
FESTIVAL
Promenades photographiques de Vendôme
Du 25 juin au 18 septembre 2016
Vendôme
France
http://promenadesphotographiques.com
Tirages réalisés par le laboratoire Picto
http://www.picto.fr
http://www.pictoonline.fr