Les 6 photographes invités dans le cadre du festival les Vagamondes sont originaires du Mali, du Sénégal, du Mozambique et de Côte d’Ivoire. Certains, comme Omar Victor Diop, s’accomplissent dans la lignée de précurseurs tel Malick Sidibé ou Seydou Keïta tout en convoquant l’histoire de l’art occidental et en cherchant à capturer la diversité des sociétés et des modes de vie de l’Afrique moderne. D’autres, comme François-Xavier Gbré, en prise avec le temps et la géographie des territoires qu’ils traversent – des vestiges coloniaux aux paysages redéfinis par l’actualité –, convoquent le langage de l’architecture comme témoin de la mémoire et des changements sociaux. Quelles que soient leurs influences – la photo documentaire, conceptuelle, d’architecture, le portrait ou l’autoportrait en studio, la mode et le hip-hop –, les oeuvres sont toutes traversées par la question d’une insaisissable identité et interrogent la place des Africains dans l’Histoire du monde. Souvent orientés sur des sujets d’actualité, plus particulièrement sur la migration de l’Afrique à l’Europe, leurs photographies sont une tentative de procéder à une narration réinventée de l’histoire du peuple noir, et partant, de l’histoire de l’humanité et celle de la notion de liberté.
Eva Diallo
bolol + insta Feed (projection)
Ce nouveau travail sillonne deux continents, il parle d’un voyage que beaucoup entreprennent courageusement. On en entend parler depuis plusieurs années maintenant mais cette fois-ci, la photographe Eva Diallo s’essaie à montrer un aspect plus personnel de ce périple.
Pour se rendre du Sénégal au Sud de l’Italie, certains passent par la Mauritanie, le Mali, le Niger et la Libye. Ceux qui ont réussi la traversée vendent du rêve à leurs proches restés au pays. Les appels se font attendre d’un côté de la Méditerranée alors qu’ils sont appréhendés de l’autre. C’est par des fragments de lumière, de ciel, un regard vers le haut, un trajet en pleine brousse ou sur une route de campagne italienne qu’elle montre sa vision de ce phénomène.
C’est principalement dans les six pays qui relient le Fouta – région du nord du Sénégal – du sud de l’Italie qu’Eva Diallo est en train de constituer cette série. Elle souhaite se pencher sur le chemin que certains de ses proches ont entrepris pour arriver en Europe. Ce travail se réalisera en plusieurs chapitres. À la manière d’un journal de bord, elle envisage de documenter les lieux dans lesquels elle se trouve en s’y montrant parfois à l’aide de photo de famille ou autre. Comme une preuve qui confirmera sa venue dans ces endroits. De par le regard de ses proches, son but est de collecter des images prises spontanément dans les endroits dans lesquels elle est allée et des moments qu’elle a vécus.
Le point en commun entre le départ et l’arrivée est sa famille, qui l’entoure au quotidien dans sa vie au Sénégal mais qui rêve d’Occident. Sans chercher à documenter l’histoire d’une personne en particulier, elle rend hommage aux courageux qui se sont lancés dans ce périple.
Eva Diallo est une jeune photographe suisso-sénégalaise née en 1996. Elle a été diplômée en 2018 des Arts Appliqués de Vevey (formation en photographie). Elle réside actuellement à Saint-Louis au Sénégal où elle partage son temps entre la production de ses projets personnels et les mandats journalistiques.
Son travail est orienté sur les sujets d’actualité et plus particulièrement sur la migration de l’Afrique à l’Europe. C’est via son histoire personnelle que ces thématiques ont commencé à la bouleverser et c’est grâce à la photographie qu’elle a su s’exprimer. Elle constitue actuellement un documentaire photographique à travers les yeux de ses proches, certains restés au Sénégal mais aussi en retraçant le parcours de ceux qui ont traversé la Méditerranée en quête de l’Eldorado.
François-Xavier Gbré
Les photographies de François-Xavier Gbré révèlent un passage, une trace. L’objet inattendu, le détail qui renvoie à l’histoire est toujours présent, plus que jamais vivant. Les recherches de l’artiste sur les territoires, les mutations urbaines et la résilience de l’architecture comme un récit à multiples facettes, tiennent de l’exploration à la fois esthétique, historique et sociale. Dans les images de François-Xavier Gbré, aucun élément ne s’impose au détriment d’un autre : tous font sens communément et fonctionnent comme autant de parties d’une même mécanique de l’image.
Dans son travail, François-Xavier Gbré convoque ainsi le langage de l’architecture comme témoin de mémoire et des changements sociaux. Écrivant des récits visuels où s’entremêlent son expérience personnelle, la charge historique et symbolique des territoires qu’il photographie et la densité du vécu de ceux qui les regardent, François-Xavier Gbré nous pousse à nous interroger sur la raison d’être de ce que l’on voit à l’image et à chercher les éléments de réponse dans la fabrique de l’Histoire, du pouvoir et des enjeux politiques. Des rêves abandonnés peuvent alors émerger les forces dynamiques d’un renouveau.
abidjan (2013-2014)
Le travail de François-Xavier Gbré sur les évolutions d’Abidjan s’intéresse aux transformations de autoroutes. Dans sa discussion sur l’architecture et la photographie, Kate Bush écrit, «l’architecture incarne les tensions entre le durable et le transitoire, le développement et le déclin, le refus et le renouveau». Les photographies d’Abidjan que François-Xavier Gbré prends depuis 2013, parmi lesquelles ses images de modestes structures et de tours qui s’élèvent dans les airs, donne à cette affirmation une approbation circonspecte. Dans la mesure où le «renouveau» est entendu comme le terme admis pour la gentrification, Gbré suggère que les marqueurs de progrès, visiblessur le territoire et dont se prévaut si volontiers le gouvernement, impliquent des déplacements de populations et des projets «faits à la va-vite ».
brendan ambser wattenberg, the past is a Foreign country (cantor Fitzgerald gallery haverford college, 2015), p. 11-12
courtoisie Galerie Cécile Fakhoury
François-Xavier Gbré, né en 1978 à Lille, vit et travaille entre le Marais Poitevin (France) et la lagune Ébrié (Côte d’Ivoire). En prise avec le temps et la géographie, son travail convoque le langage de l’architecture comme témoin de mémoire et des changements sociaux. Des vestiges coloniaux aux paysages redéfinis par l’actualité, il explore des territoires et revisite l’Histoire. Ce dialogue constant avec son environnement l’entraine à utiliser différentes échelles et modes d’expositions, que ce soit dans la présentation d’installations minutieuses, liés à une véritable investigation du territoire, que dans l’utilisation de l’architecture elle- même pour faire résonner la photographie dans un rapport physique au spectateur ou à l’espace public.
Ange-Frédéric Koffi
le grand voYage – version courte
Le Grand Voyage – Version Courte nomme tout à la fois la puissance du mouvement, le désir qu’il soulève ainsi que les lieux au travers desquels il nous entraîne. La proportion « courte » nous laisse rêver d’une longueur à venir. Dans ces images, médiums et expériences se nouent et se confondent dans un motif, celui du transport.
Les images s’imbriquent les unes aux autres. Ces fragments forment des découpes dans le mouvement et font entrevoir la fugacité de cette société africaine en bouillonnement perpétuel. Le moyen de transport n’est plus seulement un objet de l’image, il devient une forme figurée et allégorique du dynamisme. Les déplacements se veulent multiples et prennent différentes formes. Les moyens varient et les temps diffèrent. Il va naitre de toutes ces bribes quelque chose de tangible, qui traduit une société en plein changement. L’enjeu de la fragmentation n’est pas tant une représentation de l’image que l’agencement des photographies en tant qu’ensemble. La fragmentation photographique rompt l’illusion d’une réalité connue, visible et signifiante. C’est pourquoi, pour comprendre, le spectateur doit parcourir et déchiffrer toutes les strates du motif entamé.
« …, provisoires arrêts sur images pour ne pas ignorer un détail, une lumière, un visage, une correspondance entre des objets ou des enfants qui passent. »
David Le Breton
Ange-Frédéric Koffi , Né à Korhogo, au nord de la Côte d’Ivoire, est un garçon du 21e siècle à la recherche de lui-même et des autres. Son itinéraire intime le fait voyager très tôt. Étudiant à la Sorbonne
Paris 1, à la Haute École des Arts du Rhin (Hear), puis à l’École Cantonale d’Art de Lausanne (Ecal), Ange-Frédéric a participé entre autres aux 11e Rencontres photographique de Bamako.
Par son questionnement, il cherche à «débroussailler une forêt dense et touffue ». Il cherche à comprendre les métaphores qui font, et qui ont fait l’Afrique d’aujourd’hui. Par son questionnement sur le mouvement, le voyage et l’errance, Ange-Frédéric tente à travers son témoignage d’être un vecteur d’art et de beauté, «d’incarner une nouvelle vision du peuple africain et non de la civilisation dite africaine ».
King Massassy
anarchie productive
Puisque de l’émancipation nait la liberté d’êtr soi-même, la liberté d’aller à son rythme, à son gré, sur les voies qu’on a nous-mêmes tracées, l’Afrique doit désormais regarder de l’avant pour sortir du tunnel de toutes les calamités. Pour ce faire, il est indispensable qu’elle se connaisse et se reconnaisse. Comme disent les anciens bamanans «So don ji don jiri don, yêrê don gnokon tê » : « tu peux savoir monter à cheval, nager et grimper à l’arbre, ça ne te dispense pas de te connaître toi-même ». Mais comment se connaître, s’aimer et s’assumer avec fierté quand on baigne dans un océan de termes tels que «tiers monde », «pays en voie de développement», «pays émergent» ?
L’Afrique doit prendre le large et cesser de regarder le monde à travers ses lunettes de victime inconsolable. Elle doit cesser d’être vue comme un navire à la dérive. Elle doit tracer sa route avec les moyens qui lui sont propres. S’affranchir des outils et critères des experts.
À travers cette série photographique, j’entends montrer combien l’Afrique est dynamique, inventive, fertile. Je souhaite dévoiler les secrets de sa réussite : l’anarchie productive et l’informel organisé ; la solidarité. Je veux faire connaître cet Africain qui use d’ingéniosité jusqu’aux derniers replis de son imagination pour vivre, inventer, créer.
L’avenir est un présent pétri par le passé et non un hypothétique futur conjugué au conditionnel. L’utopie africaine n’est pas à inventer. Elle est.
King Massassy
tenir
Notre force réside-t-elle parmi les neuf formes d’intelligence décrites par la psychologie ou au fin fond des fragments des rencontres que nous faisons ? Je dirais que nous sommes faits de nos vécus. Une société qui ne se frotte pas aux autres est appelée à mourir. Quand nos sœurs et frères émigrent et reviennent au pays, ils nous font saliver avec tout ce qu’ils racontent de leurs voyages.
Comme disent nos anciens : celui qui part en voyage peut revenir les mains vides mais pas l’esprit vide.
J’écoutais Rosa Parks, en 1995, à Montgomery en Alabama, avec des yeux d’enfant, me raconter la lutte qu’elle et d’autres personnes comme Martin Luther King ont menée pour leurs droits. C’était lors de ma première tournée dans toutes ces villes américaines où les Noirs avaient serré et levé leurs poings pour dire NON ! Non à l’injustice. C’est de cette rencontre avec Rosa Parks qu’est né le premier tube de hip-hop malien avec mon groupe SOFA.
Le texte «anw ye farafinna farafinw de ye » («nous sommes les Noirs d’Afrique») dénonçait l’esclavage arabo-musulman et le commerce triangulaire tout en valorisant les êtres humains que nous sommes. Aujourd’hui je photographie d’autres poings serrés. Des poings avec des bagues gravées de formules magiques ou d’autres ornées de pierres sous lesquelles sont enfouis des talismans prescrits par des maîtres en sciences occultes, des symboles sacrés, devenant des signes de protection, porte- chance, apportant l’invulnérabilité…
Je photographie pour célébrer l’Afrique des quatre coins de la planète. Du Vaudou au Brésil ou dans le Massachusetts où j’ai personnellement assisté à
une cérémonie. Des Siddhis, ce peuple Noir, Bantou, en Inde, qui revendique son africanité non pas seulement par sa couleur de peau mais aussi grâce à la musique et la danse. L’Afrique c’est aussi ces Mélanésiens, Noirs blonds aux yeux bleus ; comme si la nature voulait jouer des tours à toutes les sciences, et surtout au commun des mortels qui a la manie de catégoriser l’espèce humaine. Comme disait ma grand-mère : la terre est petite mais les gens sont grands. Elle disait aussi qu’il n’y a que deux choses qui nous appartiennent ; ce que nous mangeons et ce que nous retenons comme leçon.
Ce travail a été réalisé cette année (2019) à Bamako, Mali, au fil des rencontres, parfois instantanées, au coin d’une rue, avec des personnes portant ces bagues aux doigts… Je suis aussi allé à la rencontre de maîtres de services occultes qui prescrivent des talismans aux personnes venues les consulter pour des raisons diverses. Ce fut un travail d’anthropologie et de recherche esthétique avec une post-production Photoshop.
King Massassy
Fototala King Massassy, né en 1971 en Côte d’Ivoire, Fototala King Massassy est un artiste malien à la production foisonnante.
Rappeur, comédien et photographe autodidacte, il est inclassable. D’abord amateur, Fototala King Massassy pratique la photographie dès 2007 et en fait une de ses principales activités professionnelles en 2015. Il expose rapidement au Mali, pour la Biennale de Bamako, puis en France. À travers les portraits de ses héros du quotidien, Fototala King Massassy parle de l’Afrique qu’il veut voir « se connaître et s’aimer » et entend bien « montrer combien l’Afrique est dynamique, inventive, fertile ».
Mauro Pinto
c’est pas Facile
La société Bwa est divisée en trois «castes » endogames : les paysans, les forgerons et les griots qui remplissent des tâches spécifiques au sein de la communauté. Le culte de Do constitue le symbole de cohésion sociale des villages Bwa. Do est incarné par le masque de feuilles qui recouvre la totalité du corps du porteur.
Le culte de Do constitue le ciment culturel qui fait des villages Bwa un groupe unifié. Do est symbolisé par un rhombe de fer conservé dans une céramique déposée en dehors du village et des champs, en bordure de la brousse. Do est également incarné par le masque de feuilles, appelé Bieni. Aucun musée ni collectionneur ne peuvent l’acquérir, tant il est sacré, ni le conserver à cause de la nature de ses matériaux par essence éphémères.
Alexandra de Cadaval
Mauro Pinto vit et travaille à Maputo (Mozambique) où il est né en 1974. Au début des années 1990, Mauro Pinto étudie la photographie au Monitor International School à Johannesburg et pendant cette
période il effectue un stage auprès du photographe José Machato. Il déménage ensuite à Maputo où il travaillera aux côtés du pionnier du photojournalisme au Mozambique, Ricardo Rangel, et où il côtoiera le photographe norvégien Trygve Bolstad ou le réunionnais Karl Kugel. En 2002, il participe à l’exposition Vers Matola à l’Espace 1789 Saint- Ouen à Paris et en 2010 il participe à la deuxième édition d’El Ojo Salvaje, au Paraguay, et s’impose comme le premier artiste africain à y exposer. Mauro Pinto interroge la création visuelle, l’information et la communication. Ses œuvres, qui peuvent être perçues comme provocantes, capturent l’essence de l’espace grâce à un jeu habile avec les contrastes. Aujourd’hui, ses travaux font de lui l’un des photographes contemporains le plus reconnu du Mozambique.
commissariat Emmanuelle Walter et Ange-Frédéric Koffi
coproduction La Filature, Scène nationale – Mulhouse
courtoisie Galerie MAGNIN-A, Paris et Galerie Cécile Fakhoury
I Was Here – I Saw Here
exposition photo (Festival les Vagamondes)
du 14 janvier au 23 février 2020
La Filature, Scène nationale
20 allée Nathan Katz – Mulhouse
www.instagram.com/colligit.truncis
www.instagram.com/fototala_king_massassy
www.magnin-a.com/fr/artistes/mauro-pinto