La galerie RTR présente, pour la première fois en Europe, l’exposition personnelle du photographe mexicain Fernando Brito intitulée « Lost in the Landscape ». 12 images en grand format, issues de son projet qu’il mène depuis 2006, ont été prises à Culiacán au Mexique où il vit est travaille comme photojournaliste.
« All those people, all those lives
Where are they now?
With loves, and hates
And passions just like mine
They were born
And then they lived
And then they died
It seems so unfair
I want to cry »
Cemetry Gates – The Smiths
Il est difficile de savoir comment aborder le travail photographique de Fernando Brito. D’une part il est ce qu’on pourrait appeler un photographe documentaire au sens strict, partant à la recherche de récits humains – le projet ici concerne les photos de victimes de la rivalité entre narcotrafiquants dans cette partie du Mexique. Ce spectacle est facile à accepter sur le plan émotionnel, même si la violence extrême et la cruauté inhumaine sont évidentes, mais tout se passe ailleurs, cela concerne d’autres personnes dans une situation à laquelle vous ne serez sans doute jamais confronté. C’est d’ailleurs un peu le défaut de la photographie documentaire qui, le plus souvent, laisse le spectateur avec un sentiment à la fois d’empathie et d’impuissance, qui pourrait être celui d’un touriste endeuillé affrontant la douleur du monde depuis un canapé confortable. En tant que témoin privilégié, j’ai envie de faire quelque chose, d’agir pour le changement d’une certaine façon, mais je sais que je ne peux pas. Je suis en proie à un sentiment de culpabilité et d’inefficacité compte tenu de la nature de ma situation comparée à la leur.
D’autre part Fernando Brito est un photographe artiste créant des images, des beaux paysages et levers de soleil avec une touche sombre caractéristique. Il prend le «vrai» d’une scène pour l’envelopper dans une vue très stylisée. Certains pourraient penser à des œuvres de Jeff Wall (s’il avait travaillé la série) ou à des photographies de Philip Lorca di Corcia (si Brito avait ajouté un peu plus de « jambon Hollywoodien »). Ce sont des représentations modifiées par la technique qui ont pour résultat, d’être plus faciles à regarder. Ces images ne paraissent pas hors de propos dans une galerie et c’est ce qui est inquiétant, car… eh bien, elles le devraient.
Lorsque chacun se confronte à ces images, sans l’intermédiaire d’un texte, il est difficile de croire qu’elles illustrent des situations ou des évènements « réels ». Les cadavres donnent l’impression d’avoir été posés de manière intentionnelle et leur placement semble trop précis – telles des photographies construites. La compréhension supplémentaire du travail de Brito du fait de son statut d’éditeur et de photographe dans un journal local au Mexique, et les explications qu’il donne au projet, modifient l’expérience du spectateur. « Quand j’ai vu ses photos, il m’a fallu un certain temps pour croire qu’il ne s’agissait pas d’un canular. Ensuite, j’ai parlé à Brito et ai réévalué mon appréciation des photographies ».
La prise de conscience de l’aspect éphémère de ces vies, savoir que les familles ont été anéanties par ces tragédies, l’emportent sur l’habileté de ces images ou sur une prétendue place qu’elles occupent dans l’histoire de la photographie. Un enterrement a dû être organisé, un cercueil a été choisi, une visite de la police a été menée. Un rapport du médecin légiste d’une précision chirurgicale doit être effectué de façon quotidienne. On imagine le regard de douleur et de suspicion des voisins face à ces faits dont ils sont coutumiers. Une veillée funèbre a du être organisée, une invitation conçue et affichée, une pierre tombale achetée, une liste de musique représentant le défunt a du être sélectionnée, des discours larmoyants à l’écrit ou oralisés. Bien sûr, les conséquences sont beaucoup plus importantes que l’unique scène que Brito peut nous livrer, sans tenir compte de l’imagination de tout un chacun au sujet de ces fins de vie épouvantables, mais ces images sont les uniques testaments de ces vies perdues – monuments routiers voyageant plus loin qu’ils n’auraient jamais osé imaginer. Ces photos ne sont pas de l’art, elle ne sont pas non plus un vrai projet de documentaire (et c’est une bonne chose), elles sont honnêtes et directes, et constituent, de ce fait, une démarche plus intéressante pour un sujet aussi difficile que celui ci.
« Cela semble si injuste, j’ai envie de pleurer ».
Gordon MacDonald
Lost in the Landscape
Du 6 septembre au 20 octobre 2012
Galerie RussianTeaRoom (RTR)
42 rue Volta
75003 Paris
France
Tel : +33 1 45 26 04 60
Mail : [email protected]