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Ferdinando Scianna : le Ghetto de Venise

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Irrésistible fascination, dangereuse tentation… J’ai même failli chercher des excuses pour accepter la proposition. Et à Venise, ce lieu si exigu – peut-être mes jambes seraient elles-mêmes à la hauteur. L’idée avait piqué ma curiosité, ce qui a toujours été mon moteur. Je ne connais rien à l’univers juif, même s’il m’attire depuis toujours. Car c’est celui de nombre de mes amis, tous passionnants, tous complexes. Le monde de grands écrivains, de merveilleux musiciens, de tous ces fabuleux photographes.

Ces dernières années d’ailleurs, je n’ai pas fait beaucoup de photographie. J’ai passé mon temps à écrire des textes pour accompagner mes photos, ce qui m’a apporté plaisir et satisfaction. Mais je suis photographe : mes timides tentatives pour atteindre le bonheur découlent avant tout de cette tension du corps, des yeux, de l’esprit et du cœur, qui ne peut être soulagée qu’en déambulant, appareil en main, tout en cherchant, en attendant ces instants, ces aperçus fugaces de la forme, qui, à de très rares occasions, dévoilent le monde, révèlent mon être.

Après avoir accepté la mission pourtant, je suis tombé sous le coup de cette angoisse qui m’est si familière, depuis 50 ans que j’exerce ce métier, une inquiétude qui ne m’a jamais vraiment quitté. Et si j’étais incapable de remplir cette tâche ? Cet endroit est le théâtre de choses extraordinaires et terribles. Je sais que de tels lieux n’arrêtent jamais de raconter leurs histoires, même après le passage des siècles. Mais si j’étais incapable d’entendre ces voix ? De discerner, dans la complexité implicite et les contradictions du présent, les images qui contiennent les traces de cette histoire tumultueuse ?

Malgré tout, depuis quelque temps déjà, je sais que la seule réponse à cette impression de déficience se trouve dans l’humilité du travail, la ténacité, la concentration constante. Il faut s’immerger dans l’endroit, se mêler aux gens et continuer, heure après heure, jour après jour, de collectionner les galets qui permettront de construire sa maison. Entretenir l’espoir et croire en la chance. À l’époque où je me demandais si j’allais écrire ce bref commentaire, je lisais un recueil d’interviews avec Joseph Brodsky, l’un de mes poètes contemporains préférés. Juif, même s’il semblait ne pas apprécier cette étiquette – ni aucune autre d’ailleurs.

Un livre qui m’inspirait le regret, celui d’un rendez-vous qui ne devait jamais avoir lieu – avec son ami Michail Baryshnikov. Nous l’avions organisé peu de temps avant sa mort. Un livre illuminant et agaçant, comme le sont tous les entretiens avec Brodsky. Et dans ce livre, je retrouvai cette déclaration : d’un autre côté, plus l’exploit est grand, plus il y a de gloire à le surmonter. L’échec est fréquent, la détresse intense. Mais l’adversité fait partie intégrante de cette aventure, dans laquelle, à vrai dire, on n’embarque jamais pour le plaisir. Le plaisir vient à la fin, lorsque l’on réussit.

Ferdinando Scianna

Membre de l’agence Magnum, Ferdinando Scianna est lauréat du Prix Nadar 1966. Au cours de sa carrière, il a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages de photographie.

http://pro.magnumphotos.com

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