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Fata Morgana : paysages inédits de Nan Goldin

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Le château d’Hardelot, à Condette, dans le Pas-de-Calais (Fance), propose une exposition inédite de photographies de paysages de Nan Goldin. Ce sont de vrais paysages contemporains, sensibles, méditatifs pris lors de ses nombreux voyages à travers le monde, en passant par la Grande- Bretagne et la France.

Révolutionnaire. A la fin des années 1970, Nan Goldin est installée à New-York dans un loft sombre où elle photographie le quotidien de ses amis. Ils ont choisi la marginalité, à l’écart des valeurs officielles de l’Amérique. Ses images aux couleurs saturées, prises à la lumière artificielle témoignent de sa vie et prennent la forme d’un journal intime où les sujets partagent avec l’artiste une proximité affective et physique. La photographie est pour Nan Goldin une pratique naturelle, une façon d’exister.

C’est aussi une façon d’exprimer son affection vis-à-vis de ses proches, une reconnaissance partagée. Elle est ainsi l’une des photographes qui contribue à radicalement transformer notre regard sur l’intimité et ses approches liées au sexe, à la drogue et au sida. En expérimentant la photographie de manière révolutionnaire, en produisant un genre nouveau à la frontière entre le reportage et l’esthétisme plastique, elle devient durant les années 1980 l’icône incontournable de la scène artistique underground new-yorkaise. Elle immortalise sa nouvelle famille en réalisant en 1978 un diaporama intitulé The Ballad of Sexual Dependancy. Cette série de clichés, pionnière dans le développement de la photographie intime, apporte à l’artiste une reconnaissance internationale à l’époque où la photographie entre dans le domaine de l’art.

Fatiguée et lassée par les excès du monde de la nuit, hantée par l’autodestruction, elle décide en 1988 d’entrer dans une clinique spécialisée. Cette expérience l’amène vers la redécouverte d’elle-même et à la révélation de la lumière du jour. La photo intitulée Path in the woods at the hospital, Belmont, MA, 1989 représente un de ces moments d’angoisse où la nature tremblante, les contrastes entre l’ombre et la lumière traversés par la diagonale du chemin, expriment le sentiment d’isolement et de solitude. Cette photo préfigure de multiples façons son travail sur le paysage. La nature l’aide à renouer avec la réalité, la vraie vie.

Nature. Depuis cette époque Nan Goldin aime de plus en plus photographier la nature et la richesse des tonalités de la lumière naturelle. La photographie de paysage devient un thème à part entière dans son œuvre et accompagne sa nouvelle vie. Ses images deviennent « classiques » dans le sens de la simplicité dans l’organisation des formes, de l’harmonie des couleurs et de l’économie de style (ou sens). Elle privilégie les plans panoramiques pour ne pas détruire l’équilibre perçu d’un ensemble. Et lorsqu’un détail est souligné par un gros plan, c’est pour en privilégier sa valeur symbolique.

L’artiste capte ainsi ces instants de nature au cœur de leur mystère avec un objectif sans zoom pour être souvent au plus près des éléments comme Water lilies, France. Quant aux sujets, leur répertoire est modeste : paysage, ciel, mer, horizons, forêt, fleurs… La figure humaine rarement présente est souvent réduite à une silhouette frêle dans l’immensité de la nature. La nature s’anime parfois d’animaux isolés, souvent en gros plan, comme Holy sheep Rathmullen, Ireland, 2002, à résonnance mystique. Le chromatisme nuancé adoucit les formes et se fond en dégradations et clairs obscurs délicats traversés par un rayon lumineux. Son parti pris est à la fois esthétique et symbolique.

Les premiers paysages réalisés à la fin des années 1980 sont effrayants par leur frontalité, mystérieux par le jeu d’ombres mobiles et tristes par le chromatisme des noirs. Cette série de photographies est la partie la plus dure et la plus angoissée, centrée sur la désintoxication et l’angoisse. Son point de vue reste purement autobiographique, la plupart des clichés sont pris dans les jardins des cliniques où elle effectue ses cures de désintoxications. Certains clichés pris dans la lumière ambrée de fin journée, les « magics hours » mettent en évidence la nostalgie de l’artiste et exprime son goût pour les études atmosphériques comme Autumn sunset, Scotland, 1986.

A partir des années 2000, Nan Goldin développe le goût du nomadisme pictural. Elle multiplie en effet les voyages en France, en Grande-Bretagne, en Irlande, en Egypte et elle retourne régulièrement aux Etats-Unis. Les paysages rencontrés pendant la promenade deviennent nostalgiques et lyriques. Elle invente ainsi des paysages aux tonalités monochromes vaporeux, aux contours estompés, peuplés de souvenirs, comme Lavender landscape, Buncrana, Ireland, 2002 à dominante pourpre qui évoque Mark Rothko (1903-1970). Elle figure de plus en plus l’immensité où la nature ressemble à une toile opaline esquissée à peine par les profils de quelques masses. Ainsi Fata Morgana, Boston, 2018 est une image magique où l’air et la lumière semblent sans limite. Ces dernières images, reflet de la maturité et de la maîtrise du photographe suggèrent sa nouvelle relation avec la nature et ses mouvements chromatiques.

Cette série de photographies de paysage est une production personnelle au sein d’une œuvre dédiée à la condition humaine, un ensemble rare et méconnu que Nan Goldin nous offre le privilège de partager dans le cadre naturel du château d’Hardelot à Condette, France. Cette séquence est le théâtre de ses sentiments. Dans un monde en perpétuel changement, la question centrale de l’art au XXIe siècle est de savoir comment l’artiste rend compte de la réalité mouvante, intimement liée aux émotions de l’observateur. Après avoir vécu durement les ravages de la drogue et du sida parmi ses amis, la photographie de paysage de Nan Goldin est probablement le moyen le plus humain de rendre compte de sa présence au monde.

 

Marie-Françoise Bouttemy

Marie-Françoise Bouttemy est une auteure et commissaire d’expositions de photographie. Elle vit et travaille à Lille.

 

 

Nan Goldin, Fata Morgana
Du 2 juin au 11 novembre 2018
Château d’Hardelot
1 Rue de la Source
62360 Condette
France

http://www.chateau-hardelot.fr/

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