À travers des peintures, sculptures, installations, vidéos et photographies le musée des Beaux-arts de Caen consacre une exposition au thème du mur. A la fois élément de séparation, morceau d’un lieu d’enfermement, matière à rêve, il a inspiré nombre de photographes qui en ont dévoilé toutes les aspérités.
C’est une ligne droite, puissante, tranchante, qui file à l’horizon. C’est un rectangle d’ombre qui s’étale sur l’asphalte d’une rue. Ce mur pris en photographie par Gisèle Freund en 1975 n’est autre que celui de la prison de la Santé. Un mur énorme, noir, écrasant, qui annonce bien le thème de cette exposition consacrée à cet étrange élément architectural qu’est le mur.
Lieu de tous les possibles, le mur est d’abord et avant tout celui d’une séparation. Séparation entre deux territoires, entre le dehors et le dedans, entre un monde et un autre. Réel ou imaginaire, il est une barrière au mouvement, un élément physique – ou mental – contre lequel un déplacement – réel ou imaginé – vient se heurter.
C’est ce que montre brillamment Gordon Matta-Clark dans sa performance Splitting. L’artiste découpe le mur d’une maison vouée à la destruction en 1974 pour y laisser un rayon de lumière entrer d’une certaine façon. Ainsi Matta-Clark s’attaque à notre représentation de l’espace fortement ancrée dans le stéréotype de la maison aux murs bien droits.
Son oeuvre est architecturale, mais aussi politique et sociale. Elle déplace les normes et réinvente leurs lois dans une atteinte concrète à ce qu’elles ont engendrées en termes d’habitat.
« Cages à poules »
Cette séparation que crée le mur est aussi mise en lumière par Jean-Luc Moulène et la photographie d’une maison en pleine nuit, la lumière allumée à l’intérieur et qui donne comme un aspect irréel à l’ensemble. Moulène nous invite à contempler cette demeure classique et en même temps qui semble fausse, comme une maison de poupée grandeur nature. En plus des murs de la maison, il semble y en avoir un autre, invisible, entre le spectateur et la maison. C’est comme si nous étions appelés à notre désir de franchir ce qu’il reste d’un jardin pour gagner l’intérieur de cette maison sur-éclairée et en même temps le refus de quitter la réalité pour un monde en toc, plein d’illusions, impossible à vivre.
Peut-être est-ce la promesse que nous réserve la confrontation de notre être aux murs ? Ce qui est certain c’est que le mur peut enfermer. C’est le sens du travail de Jacqueline Salmon qui photographie les murs de la prison de Clairvaux. L’artiste a réussi à pénétrer dans les anciennes cellules surnommées les « cages à poules » et à les immortaliser dans de magnifiques portraits des lieux.
La peinture délabrée, les traces laissées par les détenus, la lumière glauque qui vient du plafond, tout donne la voix des anciens prisonniers. A côté, le musée expose une série plus récente de la photographe. Toujours la prison de Clairvaux, mais cette fois la cour dans laquelle les détenus font les cent pas. Ici les murs sont des surfaces gigantesques de béton armé et qui font sentir la teneur de la captivité.
Lieu du songe
Autre lieu d’enfermement enregistré par l’œil d’un photographe est cette chambre dans laquelle le poète Ezra Pound a fini ses jours. Accusé d’avoir soutenu Mussolini pendant la guerre, le poète restera des années dans un hôpital psychiatrique avant de rejoindre cette mansarde. Elle est photographiée par Dieter Appelt à Venise en 1981. Touchante ultime demeure où l’homme de lettres a terminé sa vie. Elle ressemble à la chambre de Vincent Van Gogh : une chaise, un lit et un mur délabré.
Cette blessure qui peut apparaître sur un mur constitue le cœur du travail de Sean Scully dans une série réalisée dans un village mexicain. L’artiste attrape les façades abimées par l’usure du temps. La peinture s’écaille et des formes étranges émergent. Les murs deviennent alors matière à la rêverie, écran pour l’imaginaire. C’est aussi ce que fait Brassaï lorsqu’il prend en photographie les cicatrices des murs dans les années 1970 et déjà, avant, les traces laissées par des anonymes sur les murs de Paris. Dans les années 1940 Brassaï est en train de réaliser sa célèbre série Graffiti dans laquelle se glissent les dessins d’inconnus gravés dans la pierre. Ici une tête de clown, là un poussin, ici encore une tête de mort. Le mur devient alors lieu du songe, éternelle matière malléable comme un grand tableau d’écolier occupée par la fantaisie d’un coup de craie. « Le mur m’attire parce que dans notre civilisation, il remplace la nature », disait Brassaï.
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
Murs
5 mai au 18 septembre 2018
Musée des Beaux-arts de Caen
Le Château
14000 Caen
France