Coincé dans un embouteillage, Ty Morin, jeune américain repense à la conversation qu’il a eu la veille avec ses amis. Tous viennent de terminer leurs années d’université pendant lesquelles ils ont utilisé sans modération Facebook, réseau social réservé au départ uniquement aux étudiants américains. Ils ont, pendant toutes ces années, collectionné les amis virtuels comme on remplit à n’en plus finir les gobelets rouges en plastique de bière dans toute fête de campus digne de ce nom.
Leur diplôme s’est accompagné d’une liste d’amis bien longue. Composée en grande majorité de gens qu’ils connaissaient vaguement, d’amis d’amis dont on garde un souvenir un peu flou voire de parfaits inconnus, cette liste interminable avait le mérite de rebooster les egos en berne, faisant croire à une popularité hors norme. L’entrée dans la vie adulte avait conduit certains à faire un ménage drastique dans ce who’s who improbable collecté au fil des années en supprimant ces amis qu’ils n’avaient jamais vus. Les amis de Ty Morin l’encourageaient à faire de même. Or ce jour-là, dans sa voiture, Ty Morin décide qu’il va rencontrer ses 788 amis Facebook. Les prendre en photo. Et en faire un documentaire.
Ty Morin se donne quatre ans pour traverser les Etats-Unis et faire les portraits de ces 788 amis. À la fois nerveux et excité, il va rencontrer « en vrai » ces personnes qu’il connaît déjà beaucoup, rien qu’en suivant la vie qu’ils donnent à voir sur Internet. Ce projet permet aussi de justifier ces retrouvailles dans la vie réelle sans passer pour un zinzin qui a traversé la moitié du pays juste pour dire bonjour.
À l’heure des photos sur les téléphones portables passées au filtre nostalgico-flatteur d’Instagram, Ty Morin a choisi de réaliser les portraits de ses amis Facebook à la chambre et par là- même d’incarner en sa seule jeune personne un fossé générationnel. Deux raisons pour ce choix : d’une part son goût pour les images réalisées avec ce type d’appareil photo. Mais aussi pour le temps que prend l’installation de cet appareil photo et la prise de vue qui permet de discuter et d’apprendre à connaître la personne qu’il s’apprête à photographier. Faudrait pas avoir traversé le pays pour rien.
Pauline Auzou