La galerie berlinoise consacre une exposition à celle qui, toute jeune, s’est emparée de la photographie pour s’en faire l’une des pionnières aux États-Unis. Entre outil d’émancipation et expression féministe, l’objectif de Ruth Orkin se distance d’une vision de la femme unifiée et se joue aisément des clichés.
Un appareil photo entre les mains dès l’âge de dix ans et à seulement 17 ans, un road-trip en solitaire à travers les États-Unis avec comme seul allié un vélo… Ruth Orkin a très tôt tout eu d’une grande reporter.
Baignée dans le monde du cinéma grâce à une mère actrice, Ruth Orkin (1921-1985) qui a grandi à Hollywood parvient à se frayer une place clé dans le paysage photographique des années 40 et 50, parmi des géants de l’image tels que Walker Evans (1903-1975) ou Saul Leiter (1923-2013). Le septième art pour lequel elle voue une fascination et la rue qui revêt sous son regard des allures cinématographiques forment ses thèmes de prédilection, avec un dénominateur commun : les femmes.
Capturer la grâce
Dans la ville ou sur les plateaux, en couleur ou en noir et blanc, aux États-Unis ou en Italie, Ruth Orkin porte un regard touchant sur les femmes. Dans les rues de New-York, Ruth Orkin saisit les amies, les sœurs, les intellectuelles, les épouses, les mères et les jeunes filles. Elle capte le regard lourd de la vie maritale adressé à un époux, un rire d’une spontaneité folle à travers la vitre d’une cabine téléphonique ou encore une discussion frénétique aux abords d’une allée où le port du pantalon parmi une ribambelle de robes à fleurs résonne alors comme un signe incroyable de revendication.
Ces photographies reflétant une image plus ou moins contrastée des femmes américaines de l’époque s’adossent à des prises de grandes stars hollywoodiennes dont le souvenir résonne aujourd’hui encore : Doris Dray sur le tournage de la comédie musicale By the Light of the Silvery Moon (La Maîtresse de papa en version française) ou encore Nanette Fabray sur celui de The Band Wagon (Tous en scène ! en VF). Et il y a toute cette série de portraits sublimes de célébrités comme Joan Taylor, Julie Adams ou encore et évidemment, ce portrait iconique de Lauren Bacall au téléphone, regard dans le vide et mise en plis capillaire irréprochable.
Un regard d’avant-garde féministe
Mêlés à ces images témoignant de l’essor de l’industrie cinématographique, Ruth Orkin en révèle des coulisses avec des images empreintes d’humour, comme cette superbe prise dans les années 50 d’une actrice en train de se faire coiffer, cigarette à la bouche et journal entre les mains. Une ironie mordante qui transperçait déjà dans la série du spectacle canin à New-York en 1949 où femmes et chiens se répondent en miroir.
L’exposition met en lumière un éminent reportage engagé publié dans le New York Times en 1945 dans lequel la chroniqueuse oppose la vie d’une femme qui fait carrière à celle d’une femme au foyer : “Who Works Harder?”. Les deux études laissent flotter cette fameuse question qui pourrait constituer toujours de nos jours un débat de société épicé.
C’est avec humour et curiosité que la sensible Ruth Orkin documente un monde occidental en plein déploiement. Sous son objectif, les femmes acquièrent des droits, apprivoisent leur liberté et s’autorisent des aspirations, le tout formant des archives passionnantes sur une époque où leurs existences ne sont que rarement sujet.
Noémie de Bellaigue
Ruth Orkin au f³ – freiraum für fotografie à Berlin jusqu’au 18 février 2024.
f³ – freiraum für fotografie
Waldemarstraße 17
10179 Berlin
https://fhochdrei.org