Le photographe Mark Berndt voue depuis longtemps une véritable fascination pour le quotidien. Remplies de pouvoir évocateur et d’émotion, ses images racontent le jeu des interactions spontanées entre lumière, couleur et forme. Sa dernière exposition, intitulée The Simple Arrangement of Things, est accueillie par la galerie Edition One de Santa Fe. Elle est composée de vingt-huit tirages sublimes, en formats différents. Surprenants, ils n’ont pas été encadrés et leurs surfaces immaculées sont directement exposées au regard du visiteur – tout autant qu’à la saleté, la fumée, et aux doigts des curieux. Considérant l’aspect peu pratique de cette méthode d’affichage sur le long terme, je m’assois avec Mark pour lui demander pourquoi il l’a choisie, et savoir ce qu’il pense de l’écran par rapport à l’impression sur papier.
Vous avez des idées bien arrêtées sur ce qui marque l’achèvement d’une œuvre. Quelle est l’importance de l’impression à vos yeux ?
Pour moi, la photographie n’est terminée que lorsqu’on a quelque chose à tenir en main. Pour cette exposition, je voulais que les tirages soient directement accessibles, que le visiteur puisse avoir une expérience tactile. Je souhaitais qu’on voie les images en format plus grand que celui d’un écran de téléphone ou d’ordinateur portable. Qu’on ait accès directement à la surface de l’image, sans passer d’abord par une quelconque barrière.
Que pensez-vous de l’argentique, par rapport à l’impression jet d’encre ?
J’ai commencé à comprendre la différence en 1995, quand je me suis mis à l’impression numérique. Je me suis rendu compte que les tirages numériques sont des photographies, mais également des œuvres sur papier. Celles-ci ne découlent pas d’un procédé chimique et le résultat est fondamentalement différent de celui qu’on obtient avec du papier photo trempé dans des bacs. À présent, je ne les considère pas comme des tirages photographiques mais comme de l’encre sur du papier – et sur ce point, elles dépassent de loin tout ce qu’on pourrait obtenir dans la chambre noire…
… L’un des avantages considérables de l’impression numérique réside dans le choix des papiers. Le papier contribue pour beaucoup au résultat obtenu, et différents types d’image ressortent mieux sur différents types de papier. J’imprime depuis longtemps sur des papiers mats, mais pour cette exposition, j’ai choisi un fini plus satiné. J’ai trouvé qu’il avait un potentiel plus étendu, que l’encre ne filait pas autant dans les fibres et restait mieux à la surface. La brillance rajoute à la présence physique de l’image et le tout aboutit à une impression en trois dimensions, que je ne vois pas autant avec les papiers mats.
Pour ce qui est de l’impression elle-même, qu’est-ce qui a changé pour vous ?
Les imprimantes numériques sont des robots. Tout dépend de ce qu’on leur donne à imprimer, de la façon dont on a préparé le fichier pour en sortir tout son potentiel. Il ne s’agit plus d’orchestrer l’apparence finale au moment de l’impression, comme on le faisait à l’époque analogique. J’adore prendre les photos, mais j’apprécie également toute la post-production, cette façon de créer quelque chose que l’on peut tenir entre ses mains.
Ces tirages n’ont pas été encadrés. Qu’est-ce qui a motivé votre décision ?
Pour le long terme, le véritable cadre, c’est la boîte d’archivage, le contenant de l’œuvre d’art, celui qui permet d’aider le tirage à durer aussi longtemps que possible. Donc non, ce que j’ai fait ici, ce n’est pas une bonne façon d’afficher des images pour longtemps. Mais la galerie est un lieu d’expérience. Je voulais que les gens aient l’occasion de vivre ce qu’ils allaient mettre dans la boîte. Qu’ils puissent voir l’œuvre de près, la tourner, examiner sa surface, sentir le papier sous leurs doigts. À partir de là, ils peuvent dépenser ce qu’ils veulent pour fabriquer un cadre ou une boîte et préserver ce vécu.
Quand on voit l’œuvre pour la première fois de cette façon directe, l’expérience physique fait partie du souvenir. La personne qui l’achète va pouvoir la regarder et se souvenir non seulement des émotions, mais également des sensations qu’elle a suscitées et qui resteront avec le temps.
Pour vous, qu’est-ce qu’on doit retenir de l’importance du tirage ?
Pour moi, il est important d’avoir une boîte dans laquelle on conserve ses tirages, de pouvoir les sortir et les examiner. Là, ils sont finalisés. Sur écran, ce n’est jamais le cas – ils ne sont même pas réellement présents. Quand vous regardez une image à l’écran, elle n’existe pas vraiment. Mais une fois qu’un tirage a été réalisé, c’est comme s’il sortait du four. Il est prêt. Abouti.
Entretien mené par Andy Romanoff
Andy Romanoff est photographe et auteur. Il est basé à Los Angeles.
Mark Berndt – The Simple Arrangement of Things
6 avril – 25 mai
Edition One Gallery
728 Canyon Rd
Santa Fe, NM 87501
USA
https://www.editionone.gallery/
Écrits : https://medium.com/stories-ive-been-meaning-to-tell-you
Photos : http://andyromanoff.zenfolio.com/