Abandon est un projet que vous avez entamé en 2010 au Liban lors de votre projet de diplôme des Arts Décoratifs de Paris, pourquoi cette envie initiale de s’intéresser à la nuit et pourquoi le Liban ?
J’ai passé toute mon adolescence au Liban. Je parle la langue et je me suis longtemps sentie plus à ma place là-bas qu’en France. Je n’y étais pas retournée pendant toute la durée de mes études et j’ai senti, j’ai eu besoin que mon projet de diplôme prenne corps dans cette ville qu’est Beyrouth. Je ne savais pas encore que je voulais photographier la nuit mais j’ai retrouvé là-bas un ami cher avec qui j’ai passé beaucoup de temps à sortir la nuit, et ça allait très bien avec mes réflexions de l’époque : je faisais le lien entre les gens et les immeubles – le jour on voit leurs façades, et la nuit on voit à l’intérieur quand les lumières s’allument.
Pour Abandon, vous avez photographié dans différentes villes, pouvez-vous nous dire lesquelles et comment les choisissez-vous ? Peut-être aussi un mot sur les différences et les similitudes entre toutes ces nuits ?
Pour l’instant Paris principalement, mais aussi un peu partout, à Marseille, en Dordogne, à Fontainebleau… Pour ce qui est de la France je me laisse porter de proche en proche, de rencontre en rencontre. Je suis aussi allée à Kiev, Odessa et donc, Beyrouth. Je travaille sur le lien entre la fête et la guerre donc je voulais voir en allant en Ukraine si cela se passait différemment qu’en France – de fait j’ai trouvé une sorte de formule berlinoise pratiquée par des jeunes de classe sociale assez haute, et je n’ai pas vu le même mélange que j’observe à Paris mais beaucoup de paraître, de postures. Pas non plus que ça bien sûr, j’ai réussi à entrevoir quelques choses et même quelques heures avant de prendre l’avion pour rentrer en France, j’ai eu une longue discussion très intéressante dans une after. J’aimerais y retourner pour creuser un petit peu plus. J’aimerais également aller dans d’autres pays mais je me rends compte que le contexte n’a pas tant d’importance, ce qui m’intéresse est au niveau personnel, ce que les gens vivent dans la fête. Bien que les paramètres varient, ce que les gens dégagent ou ressentent est assez homogène. Donc j’ai plusieurs idées de pays mais c’est très ouvert.
Neuf ans après le début du projet, vous êtes retournée à Beyrouth afin de poursuivre cette série pour l’exposition «C’est Beyrouth», quelle impression vous a donné la nuit à Beyrouth de différent qu’en 2010 ?
En 2010 j’étais principalement sortie dans les bars, les fêtes d’appartement, les ambiances plus « groove » que « techno », donc je ne peux pas vraiment comparer ; mais dans l’ensemble ce que j’ai vu m’a bizarrement un peu ramené à mes années collège au Liban, et aux fêtes auxquelles j’étais allée, adolescente – le sentiment qu’il faut faire joli quand on danse, être bien habillé, ne pas faire de vague, et beaucoup consommer. Ce n’était pas spécialement agréable de retrouver ce contexte, mais c’était d’autant plus intéressant de chercher, parmi tout ça, ceux qui se lâchaient vraiment. Ce n’était pas le cas de toutes les fêtes, une d’elles sortait du lot, autant au niveau de la musique (plus expérimentale) que de l’esprit qui y régnait, très libre.