Les foires d’art tirent souvent leur personnalité de la ville qui les accueille. Les éditions précédentes ont défini Expo Chicago comme une foire chaleureuse, fière de sa scène artistique et sachant aussi prendre des risques, en parfaite harmonie avec l’esprit de « Sweet Home Chicago ».
Le soir du vernissage, pour sa quatrième édition, Expo Chicago avait pourtant perdu de son panache et, à quelques détails près, elle ressemblait à toute autre foire d’art internationale. D’après les bruits de couloir, la disparition des hot-dogs Chicago style servis en guise de petits-fours les années précédentes, était principalement en cause. Pour qui est totalement étranger à l’esprit de Chicago, cela peut sembler une broutille, mais le « Chicago style » est le supplément d’âme de la foire, l’élément de personnification, qui fait qu’Expo ne peut exister qu’à Chicago.
On aurait pu s’arrêter là si la perte du « Chicago style » n’avait tristement coïncidé avec la mort de Michael Weinstein, professeur, philosophe, écrivain et « love pirate », survenue le soir même de l’ouverture d’Expo Chicago. Ce jeudi 17 septembre, la scène photographique de la ville a perdu son meilleur critique, son bienfaiteur, et son guide. Il couvrait depuis 25 ans les expositions photographiques pour NewCity—une publication culturelle et artistique dédiée à la ville de Chicago—avec intelligence, sagacité, générosité et une honnêteté infaillible. Il avait l’habitude d’écrire d’une seule traite, dans le lieu même d’exposition, puis mettait toujours un point d’honneur à lire à haute voix son article à l’artiste présent. Bien au delà d’une figure intellectuelle et artistique, il était surtout pour beaucoup d’entre nous un ami très cher.
Passé la tristesse, force est de constater qu’Expo Chicago est bien devenue une grande foire d’art contemporain, à la hauteur des ambitions qu’elle affichait les années précédentes. Parmi les 140 galeries présentes, les galeries photographiques ont suivi cette direction en ne montrant que très peu d’œuvres vintage. La galerie Robert Koch exposait ainsi en vedette le très beau travail de Trent Davis Bailey, récemment lauréat du prix Snider 2015 ; la galerie Martin Weinstein à l’exception d’un portrait vintage de Mohammed Ali pris par Gordon Parks, se concentrait sur la nouvelle série d’ Alec Soth, Songbook, et l’œuvre de la photographe de mode Cass Bird. La Galerie Edwynn Houk présentait des œuvres contemporaines d’Abelardo Morell, et des grands classiques de la photographie couleur américaine des années 1970 parmi lesquels Stephen Shore et Joel Meyerowitz.
Les œuvres les plus remarquables se trouvaient dans des galeries contemporaines pas exclusivement dédiées à la photographe. Pour reprendre le titre du livre de Charlotte Cotton, Photography is Magic,— qu’elle présentait à la foire—de nombreux photographes exposés cette année révélaient les qualités « magiques » de la photographie, sa capacité à créer des jeux optiques, à transformer la représentation du réel, souvent en reprenant des techniques anciennes, du cyanotype au photogramme.
Le travail abstrait de Barbara Kasten était présenté à la galerie Borolami. Influencée par l’œuvre de László Moholy-Nagy, l’artiste projette un espace tridimensionnel sur une surface bidimensionnelle utilisant des effets de lumière, des miroirs et des objets géométriques. A la galerie Von Litel était exposé un photogramme remarquable de Klea McKenna. Créé sans appareil photographique, de nuit, il enregistre directement l’impact de la pluie sur le papier photosensible.
La scène photographique de Chicago s’accordait parfaitement avec cette photographie contemporaine. On a pu admirer l’oeuvre Sun/Sky de John Opera reprenant la technique du cyanotype sur du lin chez la galerie Andrew Rafacz. Cet artiste de Chicago sera par ailleurs bientôt exposé par la galerie new-yorkaise Higher Pictures, présente pour la première fois à Expo Chicago cette année. Autre nouveauté chicagoane, la galerie Patron, récemment créée par les deux anciens directeurs de Kavi Gupta, exposait une œuvre photographique d’Alex Chitty en correspondance avec ses sculptures. Clarissa M. Bonet, artiste locale également, présentait à la galerie Catherine Edelman, un grand format de plus de 1,50 mètre sur 1,50 mètre de sa série Stray Light, un collage digitalement construit à partir de plusieurs photographies d’immeubles prises de nuit.
Suivant l’actualité de la ville, le Musée de l’Université DePaul consacrait son stand au sculpteur et photographe Matt Siber, dont la très remarquable expositionIdol Structures se déroule actuellement au Musée. La galerie Rhona Hoffman exposait le travail de Deana Lawson qui explore les ressorts et ambivalences de la « Black culture » à l’Art Institute de Chicago en ce moment. En parallèle, Kavi Gupta présentait un mur entier de tirages photographiques vernaculaires retraçant l’histoire de la communauté afro-américaine.
La galerie Stephen Daiter était ainsi la seule à consacrer la plus grande partie de son stand à la photographie vintage avec notamment deux tirages fabuleux, un photogramme de György Kepes, et une photographie de Frederick Sommer,Smoke on Cellophane, qui rappelaient étrangement l’esthétique abstraite adoptée par la scène photographique contemporaine de Chicago.
Dans cette nouvelle édition, les galeries ont finalement pris conscience que ceux sont les artistes qui définissent l’identité visuelle de Chicago. Vibrants et généreux, ils transforment et font revivre les multiples héritages historiques attachés à cette ville—de la vision expérimentale du New Bauhaus, au design moderniste, à la « Black Culture ». Et Expo Chicago 2015 nous a prouvé une fois de plus que ce « Chicago Style » s’étend bien au delà de ses frontières.
FOIRE
Expo Chicago 2015
22 – 25 September 2015
http://www.expochicago.com