Me, Myself and I, The Countess of Castiglione est une exposition à Bruxelles qui fait le grand écart entre le 19ème siècle et le 21ème siècle, en ce qu’elle est centrée sur l’œuvre d’une pionnière de la photographie dont le travail annonce, à bien des égards, la relation que nous avons aujourd’hui à l’image. Cette personnalité unique du 19ème siècle est nulle autre que la Comtesse de Castiglione, dont la vie seule vaut un roman et dont la création s’avère singulière.
Née Virginie Oldoini en 1837, cette italienne issue de la noblesse toscane se marie avec François Verasis, Comte de Castiglione en 1854. Ce dernier sera notamment aide de camp de Victor-Emmanuel II de Savoie, roi de Sardaigne et du Piémont. Elle aura de lui un fils, mais mènera très vite une vie dissipée, collectionnant les amants et jouant de ses charmes notamment à des fins politiques. C’est ainsi qu’on la retrouvera spécialement à Paris où elle séduira Napoléon III, à une époque où le statut de nation de l’Italie s’avère encore en suspens.
Par-delà cette vie extravagante, ce qui la distingue est l’activité créatrice qu’elle initie dans les années 1850 avec le photographe français Pierre-Louis Pierson pour qui elle pose comme modèle avant de renverser bientôt les rôles, en quelque sorte, et de diriger avec passion la mise en scène des prises de vue, les accessoires, ses moues, son jeu d’actrice en somme. Plus que des portraits, on peut parler d’autoportraits dirigés : il y a dans ces images un stupéfiant vis-à-vis qui s’instaure : regard narcissique sur soi-même, sur l’image qu’on souhaite transmettre aux autres, sur l’image d’une classe sociale et de ses parures, sur des figures allégoriques héritées de l’histoire de l’art, notamment présentes dans l’univers de la gravure, où s’est jouée l’origine de la photographie. On songe aussi à cette transition entre peinture et photographie, puisque les tirages noir et blancs étaient au départ volontiers colorisés, retouchés à la main pour corriger les imperfections ou donner plus de réalisme à l’image.
En un mot comme en cent, on peut voir là les origines du selfie qui s’est répandu comme une traînée de poudre ces dernières années avec les nouvelles technologies au point de devenir presque un « nouveau genre » photographique. Bien que, précisément, le travail de la Comtesse de Castiglione soit là pour nous montrer en quoi l’origine du selfie remonte bien loin. Dans le domaine de l’art, on peut également voir des échos frappants des images de la comtesse dans les travaux, ultérieurs, de Claude Cahun d’abord, de Cindy Sherman ou de Gilbert & Georges ensuite. Voire encore plus récemment de Sophie Calle, Ryan Trecartin.
Les titres donnés aux tirages sont aussi très intéressants. Nous ne sommes pas loin du monde de la caricature à la Honoré Daumier, quoique ce soit plus ambigu, subtil, dès lors qu’on oscille sans cesse sur le fil ténu entrée réel et pastiche. Une anecdote qui en dit long au sujet des titres est celle-ci : en 1863, elle bénéficie d’une nouvelle invitation aux Tuileries à l’occasion d’un bal costumé. Elle y apparaît en Reine d’Etrurie. Mais le costume est mal compris, la comtesse, dit-on, se serait montrée presque nue. La presse se déchaîne. Son ex-mari, François, menace de lui reprendre leur fils Georges. Elle répond à cette menace en envoyant une photographie d’elle, hautaine, qu’elle intitule « La Vengeance ».
La Comtesse de Castiglione continuera à réaliser des images avec le photographe Pierre-Louis Pierson dans les dernières années de son existence, en une époque de pauvreté et d’isolement, faisant se superposer avec audace et conscience sa beauté d’hier et sa déchéance des derniers temps. Ultime attitude artistique de dandy féminin qui aura mené une décisive expérience existentielle autour de l’image, dont nous mesurons aujourd’hui la portée.
Informations
Keitelman Gallery
4 rue Van Eyck Brussels 1000 Belgium
08 septembre 2017 au 30 novembre 2017