l’artiste plasticienne Magali Lambert expose ses photographies au Château de Dourdan, en région parisienne. Les images consistent en des rencontres entre la collection d’oiseaux naturalisés et les œuvres de la collection permanente du musée.
Pour son exposition au Musée de Dourdan, Magali Lambert a opté pour une scénographie, où dialoguent plusieurs niveaux de vestigialité : une première strate, la plus immédiatement identifiable, confronte des espèces d’oiseaux disparues à des portraits de personnes défuntes ; à cette couche physique de la représentation se superpose une strate conceptuelle, mettant en scène un autre processus de disparition et de désincarnation, inhérent celui-ci au médium photographique lui-même.
Cette stratification de l’image semble enfin culminer dans une sorte de mise en abyme des différentes formes de spectralité qui la traversent : représentations de peintures construites dans les codes-mêmes de la peinture, les photographies de Magali Lambert empruntent au Baroque son esthétique des bifurcations analogiques, où l’espace visuel à la fois s’égare dans les faux-semblants de sa propre visibilité et se confond avec la topologie biaisée de son espace conceptuel. Ainsi, ses images deviennent-elles, au-delà des références plasticiennes à la forme-tableau, les expériences performatives et post modernes de ce que les Vanités mettaient en jeu, dans leur syntaxe religieuse : la danse d’une vie toujours-déjà hantée par la mort, vaine comme l’est la gloire du monde, célébrant l’absence d’assise ontologique de ce que l’on tient pour certain, et qui rend in ne la réalité elle-même semblable au rêve ; il se joue ici, dans le dépassement du classicisme, comme un éloge des chemins non linéaires du sens, où s’offrirait la promesse infinie d’une résurrection paradoxale : celle de la mise à mort même du sens, et de sa renaissance dans une forme de représentation inversement proportionnelle à l’effondrement ontologique qui la sous-tend ; au royaume ou des ombres se substituerait donc en dernière instance la netteté du document hyperréaliste, pour la plus grande gloire des fantômes.
Plus peut-être encore qu’à la référence picturale, le paradoxe évoqué ici tient à une propriété de la photographie d’être à la fois le mode d’enregistrement du réel le plus immédiat qui soit, et en même temps le plus lié à un imaginaire de l’embaumement, de la préservation artificielle. On pourrait ici évoquer ce qu’André Bazin écrivait à propos de l’image photographique, et du lien fondamental qui lie la genèse des arts plastiques à la momification (dans Ontologie de l’image photographique) : on pourrait voir alors la photographie comme le parachèvement du mouvement baroque, l’acte final par lequel la représentation se libère de l’obsession de la ressemblance iconique. Ce qui se fait jour alors, lorsque cette écorce de l’apparence se fissure, c’est une image pure du temps lui-même, d’un temps fossilisé dans l’ambre des sels argentiques : ce lien étrange qui s’établit entre le temps, la vie, la mort et la résurrection, si présent dans les technologies de l’image qui utilisent l’indicialité comme moteur, se trouve déconstruit et mis à nu dans l’exposition de Magali Lambert jusque dans sa littéralité, puisque nous avons bel et bien a aire, dans cette série de photographies, à une taxidermie du temps et de l’image
Magali Lambert nous plonge ainsi dans cette phénoménalité obscure d’avant la vie phénoménale, par un raccourci analogique tout autant que diachronique, où c’est paradoxalement ce qui a disparu qui réengendre une possibilité de monde et redistribue les rapports de coappartenance : coappartenance des formes, des couleurs, des textures, des sons, tout un univers tactile où le temps et l’espace rêvent infiniment leur résurrection sensorielle en ressuscitant à l’infini leur propre mort.
http://www.mairie-dourdan.fr/culture-et-patrimoine/chateau-musee/
Informations
Musée du château de Dourdan
Place du Général de Gaulle 91410 Dourdan France
16 septembre 2017 au 17 juin 2018