Totoro, cet espace singulier à Ivry, a rendu possible la rencontre de trois pans du travail de Bertrand Bonnefoy (BBY). De ce dialogue inédit entre ses œuvres est née Là ou il faut une pièce photographique en trois actes : Passage non obligé, Jeux de scène et Un temps pour tout.
Acte 2 : Jeux de scène
Chez BBY, la photographie est un art de la tranquillité. Une douce sérénité qui vous prend par la main, par les yeux, pour vous emmener aussi loin que votre générosité peut en découvrir les horizons. Car, chez BBY, il n’y a pas de limites, chaque chose s’esquisse en termes d’horizon. Prenez l’acte II de Là où il faut, sa nouvelle exposition en forme de pièce photographique : Jeux de scène. Voici un acte de sept scènes, chacune marquée du sceau de l’uniforme.
L’uniforme n’est pas ici une limite imposée au corps. Il n’est pas franchissement, mais affranchissement. L’uniforme est costume ou coutume. On ne parle pas encore de transgression, encore moins de subversion.
La réflexion sur la temporalité revient ici comme un leitmotiv. Le temps se pose. Un souci de la pause qu’on retrouvera dans l’acte III, Un temps pour tout, consacré aux sténopés. Là, dans le doux écoulement du temps, c’est l’appareil qui prendra son temps.
Ici, dans Jeux de scène, par-delà le mouvement effervescent de l’existence, l’acteur prend le temps de se poser. Mais ce n’est pas une pause pour le photographe. Et c’est là que réside le génie de BBY, capter non pas « l’instant d’éternité » cher à Doisneau, mais cette gestuelle fugace qui s’exprime quand, de manière un peu triviale, on dit, parfois : « Je m’en bats les couilles ».
Quelle est la nature ontologique de ce « Je m’en bats les couilles » ? S’agit-il d’un entrelacs de résignation, de lassitude ou encore d’un ultime sursaut de l’individualité dans un monde formaté pour le groupe ? Pas le moins du monde. Les images de BBY sont beaucoup trop subtiles pour en rester au constat de la résignation fautive. Entre une forme soumise à la fatalité et la radicale subversion, il existe une voie moyenne que les habitants de Marseille la Phocéenne expriment par cette étrange formule, venue des profondeurs archéologiques du grec ancien : « Il me branche à moi ! » Entre la voix active et la voix passive, voici la voix moyenne qui consiste à d’abord subir une action pour aussitôt refuser de la subir tout en finissant par interagir avec elle.
Chaque scène de cet acte relève de cette cohérence. Avec Jeux de scène, nous sommes ici dans une forme de radicalité apaisée, une radicalité généreuse et inclusive.
Que nous dit alors BBY ? Qu’il existe un monde posé par les mille et un artefacts de la société moderne. Que par delà ce qui existe, l’être, dans sa chair, dans son individualité, n’est jamais tout à fait absent, même s’il n’est jamais tout à fait présent. BBY saisit comme personne la voie moyenne de l’existence, où le paraître n’a plus vraiment de place. Les acteurs de Jeux de scène se drapent dans un quotidien parfois morne. Mais le vide d’une existence ne se remplit pas par l’institutionnalisation du monde. Ici apparaît, comme un jaillissement, un fragment ultime de lumière, où l’individu peut encore exister dans la radicalité apaisée de son être !
Dans le fond, BBY nous parle de conscience individuelle égarée dans une dimension totalitaire où le poids infini de la tristesse des choses agirait comme un accélérateur de vie. Nous ne sommes pas ici dans la subversion, mais bien dans un affranchissement, poussé comme un ultime cri au service de l’individualité.
The GonZo Man
Informations pratiques
Bertrand Bonnefoy, Là où il faut
Toroto, Ivry-sur-Seine
M° Pierre et Marie Curie L7
Samedis 29 février, 7 et 14 mars entre 16h et 22h ou sur rendez-vous
Plus d’informations sur : http://www.bonnefoy.biz
Informations
Totoro
15 rue Jules Ferry, 94200 Ivry-sur-Seine, France
29 février 2020 au 14 mars 2020