Depuis des années, l’un des axes de créations photographiques d’Ilka Kramer est de saisir le lien entre les espaces créés par l’homme et la nature. Son travail sur Le Havre transforme et déplace l’architecture pour interpeller sur la perception de l’espace et de l’oeuvre de Perret. Ses photos proposent des lieux imaginaires dans une dystopie post-énergétique.
Minérale, harmonieuse, régulière. L’architecture du Havre reconstruit par l’atelier Perret est une composition où alternent pleins et vides, laissant libre interprétation à qui veut se l’approprier. Depuis 2018, l’artiste Ilka Kramer arpente les rues, places, esplanades, promenades du Havre, y cherchant venelles, sentiers buissonniers, chemins de traverse, passages secrets. Cette exposition n’impose pas à d’anonymes spectateurs un récit linéaire et rationnel. Elle invite au contraire à se perdre dans les méandres de jeux poétiques et de rencontres inopinées avec hommes, femmes, animaux réels ou imaginaires, mauvaises herbes et fleurs sauvages poussant dans les interstices du béton. Plutôt que d’accepter le postulat du projet moderne plaçant l’homme au centre de l’espace architectural et urbain, l’artiste déplace la réflexion au règne de la nature. Ainsi, quelle est la place du vivant dans la ville ? Quelles parts prennent l’animal et le végétal dans cet environnement, à l’origine construit pour l’homme et l’automobile ? Afin d’explorer ces thématiques, diverses techniques ont été déployées : prises de vue photographiques, dessins, collages, maquettes bricolées… La fabrication des images est visible.
Dans cet éclectisme des supports se retrouvent un certain nombre de motifs récurrent: la silhouette gracile d’une jeune fille, la claustra et sa version distordue à travers un filet de pêche, le disque jaune traité tantôt comme un soleil ou un jaune d’œuf, la girafe, qu’il s’agisse d’un spécimen empaillé ou d’une ombre chinoise.
L’architecture est traitée avec la plus grande liberté. Ici et là nous retrouvons l’identité de l’architecture de Perret, avec ses colonnes lisses ou cannelées, ses bétons bouchardés, ses percements réguliers. Mais pourtant, où se trouve cet espace écrasant de monumentalité et donnant sur la ligne d’horizon ? Comment ces claustras peuvent-ils projeter trois sources de lumière ? Existe-t-il vraiment un immeuble Perret en ville haute, dominant la plage et le port ? L’idée est bien de nous questionner sur notre rapport à l’espace architectural. Pour ce faire, l’artiste construit de petites maquettes sur lesquelles sont collées diverses vues du Havre. Cet espace tridimensionnel repasse en deux dimensions lorsqu’il fait l’objet à son tour de nouvelles prises de vue.
Dans ce kaléidoscope de lumières et de couleurs, le changement climatique et la nécessaire adaptation de l’homme à un futur incertain figurent parmi les principales préoccupations innervant la pensée et l’œuvre de Ilka Kramer. Mais aux discours des collapsologues les plus pessimistes, c’est une ville aux airs d’apocalypse joyeuse qui semble se dessiner. Tout d’abord, hommage est rendu aux travailleurs de la terre, dont les portraits forment un triptyque. Au-delà, c’est une proposition ouverte qui laisse à chacun la liberté d’imaginer la ville de demain.
Ilka Kramer
Ilka Kramer est une photographe qui travaille sur la perception de l’espace. Ses projets portent sur le lien des formes architecturales avec la nature et comment l’homme y trouve sa place. Étudier les corrélations entre l’architecture, son environnement naturel et le corps humain est pour elle un observatoire pour comprendre la place de l’humain sur terre. Ses images sont un jeu avec les perspectives, les échelles et les dimensions, qui se construisent avec l’aide de maquettes, de découpages et de collages, afin d’interpeller la perception du spectateur, le faire douter sur ce qu’il voit pour déplacer et repenser son point de vue. Une invitation à questionner notre rapport physique comme métaphorique au monde.
D’origine allemande, elle fait des études de communication visuelle à l’université des arts appliqués de Dortmund de 1993 à 1999. En parallèle elle est photographe de mode pour des magazines et catalogues allemands. De 2003 à 2013 elle vit dans le sud de la France où elle répond à des commandes de publicité pour des architectes, des chantiers de construction, des designers de meubles, des domaines viticoles… Depuis 2010 elle développe ses projets personnels et artistiques autour de la notion de l’espace. Son travail a été publié et exposé en France, Allemagne, Suisse, Lettonie, USA, Chine… Actuellement elle habite à Lausanne et dans la Drôme.
Informations pratiques
Ilka Kramer — L’herbe folle, l’angle droit, l’horizon et la girafe. L’espace du vivant dans Le Havre de Perret
Le Forum – Maison de l’architecture de Normandie
48 rue Victor Hugo
78000 Rouen
Entrée libre et gratuite du mardi au samedi : 14h – 18h, fermé les jours fériés.
man-leforum.com
www.ilkakramer.com
Compte Instagram d’Ilka Kramer.
Informations
Le Forum - Maison de l'architecture de Normandie
48 rue Victor Hugo, 76000 Rouen, France
16 octobre 2021 au 26 février 2022