La galerie Elda Mazer accueille L’Oiseau de Nuit, travail photographique réalisé au début des années 80 par Jean-Bernard Favero-Longo : huis-clos dans un labo-photo entre fantasme et travestissement, entre cauchemar et réalité, entre image et reflet, entre « Je » et « une autre ».
« Sur l’un des clichés, il est affiché au-dessous d’une sonnette : « Ne pas sonner. Ne pas frapper. Merci ». Comment entrer alors ? Par l’entrebâillement de la porte, à l’instar de la silhouette fantomatique qui pénètre dans l’obscurité de l’appartement ? Non. Le spectateur de l’exposition L’Oiseau de nuit ne sonne pas, ne frappe pas, immédiatement en prise avec le schizophrénique. Schizophrénie de l’autoportrait, du double photogénique. Je est un autre. Une femme échappée des années folles, le Nosferatu de Murnau ou d’Herzog, Norman Bates ou le visage monstrueux de la grande faucheuse.
Schizophrénie de l’espace. Ancien de « Vaugirard », homme de l’ombre qui passa sa vie à mettre les autres en lumière, Jean-Bernard Favero-Longo privilégie les intérieurs ténébreux auxquels il donne mille visages par le simple prisme de l’expressionnisme. L’intérieur permet aussi le déploiement d’un univers atemporel, en dehors du temps. Les vamps des années 20 s’entremêlent à l’âge d’or du cinéma Hollywoodien et aux jouets inquiétants de Bunny Lake a disparu ; Frankenstein y côtoie les années 60 de Duane Michals ou Pierre Molinier. On pense aussi à l’étrangeté de Francesca Woodman.
Schizophrénie du photographique enfin. Les clichés de Jean-Bernard Favero-Longo ébranlent le « ça a été » Barthésien et le rassurant de l’indiciel. Que reste-il de réel ? Du réel ? L’immortalisé n’est-il pas purement fantasmatique ? Peut-être reste-il le corps. Corps évanescent corps fantomatique corps morcelé mais corps de chair et de sang. Incarnation d’un érotisme à la Bataille qui mêle le sexe et la jouissance à la mort. Aux prises de vues en plongée relativement nettes et lumineuses représentant l’artiste au travail s’oppose la frontalité de l’exhibition et du travestissement. Le mouvement, le flou, la surimpression ne peuvent appartenir qu’à la divagation, à la rêverie fétichiste ou cauchemardesque et finalement à l’avènement du cinématographique au sein de la photographie. La pointe rouge-sang du couteau renvoie quant à elle aux théories du Figural, tranchant la chair vive de la visualité. La lame ensanglantée est une déchirure dans le tissu de la représentation et résume à elle seule le travail de Jean-Bernard Favero-Longo qui poignarde l’esprit du spectateur pour mettre en lumière sa propre dualité. Sans doute est-ce un peu de notre hémoglobine fantasmatique et schizophrénique dont le tranchant de la lame garde trace… »
Adrien-Gabriel Bouché
Doctorant en études cinématographiques à l’université Rennes 2
Auteur de Lisandro Alonso. Habiter la nature, rêver le cinéma, éditions WARM.
Informations
Galerie Elda Mazer — Sur rendez-vous au 06 60 25 95 43
51 rue Daguerre 75014 Paris
06 décembre 2021 au 31 décembre 2021