La thématique de l’identité, dont s’est emparé à profusion l’art contemporain depuis plus d’une décennie, demeure un concept complexe que l’œuvre d’Emmanuelle Becker explore sans relâche et avec beaucoup de pertinence. La question de l’intériorité, et de ce qui s’en donne à voir, constitue précisément le champ de sa pratique photographique.
Le travail intellectuellement et plastiquement très riche de cette artiste franco-américaine (et cette double culture est à certainement considérer ici) questionne toute l’ambiguïté du concept. Dès son titre, la série Miroir d’un instant remet en jeu l’idée si familière de l’identité comme substance. Celle-ci n’est pour l’artiste qu’un reflet (celui du miroir), une image capturée qui ne relève pas de l’essence mais d’une apparence fluctuante par laquelle se manifeste pourtant l’intériorité, avec toute l’incertitude qui lui est dès lors attachée.
Ce reflet est en outre éphémère comme l’instant. Nulle permanence à attendre de l’identité que convoque cette série. Et de fait, le morcellement de la représentation, l’articulation des parties, l’éclatement de la figure, le démembrement des corps dénient ici à l’identité toute stabilité. La fragmentation, minutieusement et rigoureusement exhibée, met en échec le fantasme de l’unité des individus. L’identité est travaillée par cette série comme construction – déconstruction – reconstruction. Elle n’est plus envisagée comme une donnée mais comme un processus, plus comme une origine mais comme une résultante, plus comme une substance mais comme une dynamique. Emmanuelle Becker souligne sa fragilité, son évanescence, peut-être son inconsistance.
Quant à la série Démasqué, elle prolonge et approfondit cette vision de l’identité comme apparence, non plus en questionnant sa permanence mais sa vraisemblance, non plus sa stabilité mais sa vérité. Derrière le motif du masque se profile l’interrogation vertigineuse des faux semblants et des rôles, des illusions et des mirages d’une identité conçue comme un jeu, comme la construction factice d’un avatar.
Les masques de Démasqué nous disent ce qu’il en est de nous à l’heure d’une généralisation des rôles endossés comme expression de soi. Ces ornements somptueux, créations troublantes et inspirées de l’artiste, à l’instar des personnalités que nous nous inventons, nous magnifient et nous occultent, nous protègent et nous exposent, nous affirment et nous infirment d’un même mouvement. C’est cette vérité des masques que nous dévoile Emmanuelle Becker, celle d’une énigme de soi, d’une identité qui vacille, et qui dans ce vacillement même pourtant nous construit.
Patrice Galiana
De l’énigme de soi – Ou la question de l’identité dans l’œuvre d’Emmanuelle Becker
Commissariat d’exposition : Caroline Wiart et Patrice Galiana
Galerie La Moulinette
81 bis, rue Lepic 75018 Paris
Du 1er au 16 mars
Vernissage le 1er mars de 18h à 21h
Horaires :
du mardi au dimanche de 11h à 20h
Informations
Galerie la Moulinette
81 bis, rue Lepic 75018 Paris
01 mars 2024 au 16 mars 2024