À la lisière de Paris, le « Lavoir-Bains-douches municipal » de Gentilly renaît en 2020 sous une forme entièrement renouvelée et devient le « Lavoir Numérique » : un établissement culturel unique en son genre, résolument tourné vers la création audiovisuelle. Lieu de diffusion (expositions, projections, débats, concerts, spectacles) et de pratique (ateliers, stages, résidences), sa programmation est rythmée trimestriellement par des Séquences et interroge la large sphère numérique sous l’angle de l’image et du son.
Le Lavoir Numérique et la Maison Doisneau sont gérés par la même équipe : un dialogue qui permet de naviguer entre photographie du 20ème siècle et image du 21ème siècle, d’observer notre paysage audiovisuel actuel, d’en explorer les sources comme le devenir. Le Lavoir Numérique incite chacun et chacune à garder les yeux grands ouverts et l’oreille attentive. »
L’exposition d’inauguration du Lavoir Numérique, « Écrans partagés », ouvre ainsi une première porte : celle de la photographie. Médium technologique inventé il y a presque 200 ans. La photographie est-elle toujours la même après 31 ans de Web ? Quelles nouvelles images naissent du Net ? Comment regardons-nous le monde à présent ?
Pour tenter de répondre à ces questions, l’équipe du Lavoir Numérique s’est tournée vers Diaph 8, collectif d’artistes, penseurs et praticiens de la photographie, tous issus de la formation Photographie et Art Contemporain de l’Université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis. »
Voici le texte du commissaire de l’exposition, Michaël Houlette :
« Le World Wide Web, ce système qui permet de naviguer de site en site sur internet, a eu 31 ans cette année. Il y a également plus de 30 ans que la photographie a opéré une mutation technologique pour devenir,
à l’instar des autres médias, un objet numérique. En devenant un mode d’enregistrement électronique produisant des données, la photographie n’a pas nécessairement remis en question sa nature propre ni ses principes fondamentaux (capter le réel et le transcrire sous forme d’une image) mais elle a bouleversé une histoire vieille de presque deux siècles qui la liait aux supports concrets qui la définissaient (une épreuve sur papier, une reproduction dans un magazine, etc.) et à l’usage que ces supports déterminaient. En devenant immatérielle, l’image photographique a progressivement intégré les moyens de communication élaborés par le Web ; une intégration qui, au passage, a connu une brusque et radicale accélération ces 15 dernières années.
La photographie en tant qu’objet visuel numérique ne peut toutefois pas s’envisager que sous le seul angle technologique. La production des images photographiques est certes désormais conditionnée par de nouveaux types d’appareils (les smartphones par exemple) et des logiciels innovants qui ont fait émerger des nouvelles formes visuelles et de nouveaux contenus. Mais cette production a, par la même occasion, généré de nouveaux modèles économiques, de nouveaux modes de gestion
et de consommation, de nouveaux usages et de nouveaux rapports sociaux. L’image photographique, comme le souligne l’historien André Gunthert, est devenu un « objet fluide » autrement dit, un objet de données (et même de métadonnées sans lien avec le spectre visuel) malléables et transformables, un objet connecté, un objet de langage et un objet interactif.
L’exposition et la publication qui l’accompagne n’ont pas la prétention de décrire avec exhaustivité toutes les métamorphoses opérées et induites par la photographie depuis son entrée dans l’ère du web. En s’adressant à des auteur.e.s rompu.e.s à l’exercice de la pratique et de l’autoréflexion, ce projet vise simplement à esquisser les contours d’un paysage et à partager quelques réflexions. Leurs œuvres photographiques (épreuves, installations, projections) montrent, interrogent et tentent de circonscrire des sujets. Si Judith Bormand rappelle que derrière toute image photographique il y a désormais une machine, Rafael Serrano souligne, quant à lui, qu’en produisant et en regardant des images numériques via des tablettes ou des smartphones, nous manipulons et regardons avant tout des écrans. La profusion de photographies fait du web « une source ouverte, abondante et commune » pour Lorraine Lefort qui invente de nouveaux mythes à partir des innombrables matériaux visuels ainsi mis à la disposition de tous. Pablo-Martín Córdoba questionne de son côté l’économie de l’incommensurable quantité de photographies circulant sur le web et met en lumière le « Big data qui échappe à notre contrôle » ainsi que les centres de données (Data Centers), lieux invisibles où sont pourtant gérés, stockés et contrôlés toutes les informations. Manon Giacone montre comment une interface (celle d’Instagram en l’occurrence, aujourd’hui la principale plateforme de partage d’images fixes) peut déterminer le cadre d’une narration. Pernelle Popelin, pour qui photographier puis publier en ligne peut devenir « un acte de communion », interroge la mémoire collective et la représentation d’un évènement au sein du flux sur internet. Claire Béteille relève l’amplification des postures égocentriques et met en scène les limites absurdes du phénomène selfie qui pousse à diffuser son image en toute occasion. Enfin, pour Julia Amarger et Amélie Cabocel, l’image de soi véhiculée et soumise aux interactions sur les réseaux sociaux conditionne notre mode de perception des autres et possiblement notre conception de nous-mêmes ; la fluidité numérique de l’image photographique n’ayant sans doute rendu que plus visibles et plus prégnants les schémas, les modes et les goûts dominants. »
Le Lavoir Numérique
4 rue de Freiberg 94250 Gentilly
lavoirnumerique.fr
Informations
Gentilly, France
4 rue de Freiberg 94250 Gentilly
19 mai 2021 au 30 juin 2021