Le photographe chicagoan Elliot Ross a photographié les animaux du monde entier pendant des années et les a ensuite détourés, créant ainsi des portraits expressifs et fantasmatiques. Il évoque ici la genèse de son travail.
Avant la cinquantaine, je n’avais jamais eu d’animal de compagnie. Et puis j’ai emménagé avec la femme que je venais d’épouser et son petit chat blanc, qui s’appelait Sadie et avait treize ans à l’époque. Un jour, ma femme est partie en voyage pendant une semaine et je me suis retrouvé à m’occuper moi-même de Sadie. J’ai appelé ma femme pour lui dire que j’étais tombé amoureux de mon nouveau compagnon. Mais au fil du temps, j’ai commencé à comprendre les complications qu’impliquait une telle déclaration.
Sadie est morte à l’âge de vingt-trois ans des suites d’une longue maladie. Ma femme avait accroché une vieille photo d’elle que je n’arrêtais pas de regarder avec chagrin, mais aussi avec un sentiment soudain et inattendu de grand étonnement. Comment moi, être humain, pouvais-je avoir développé des liens émotionnels si forts avec un individu d’une autre espèce ? Comment Sadie et moi, si différents l’un de l’autre, pouvions partager cet état que l’on appelle la vie ? Et comment je pouvais, en tant qu’artiste visuel, explorer ces sentiments qui semblaient avoir des implications existentielles si fortes ?
J’ai ressenti le besoin irrépressible de faire des photos d’autres animaux (c’est ainsi que je préfère les appeler, puisque nous, humains, sommes aussi des animaux). J’ai donc emporté mon appareil dans les parcs et les rues de San Francisco, puis là où m’ont entraîné mes divers voyages aux Etats-Unis et en Europe, pour photographier des animaux sauvages ou captifs de toutes les espèces. J’ai ainsi pris en photo des primates, des poissons, des oiseaux, des lapins et des tortues. Pas seulement ceux que l’on considère habituellement comme des animaux sauvages, mais aussi les espèces qui vivent en liberté parmi nous, comme les pigeons et les écureuils, les animaux domestiques ou fermiers.
Cette exploration a débuté il y a plus de douze ans. Au fil de ces années, Schilt Publischint a fait paraître deux livres de ces photos, respectivement intitulés Animal et Other Animals. La galerie Alan Klotz de New York, et la galerie Schilt Publishing d’Amsterdam, entre autres, ont organisé des expositions et commencé à représenter mon travail. Je travaille actuellement sur un troisième volet de ce projet, que j’appelle Animal Studies, dans lequel je cherche entre autres à saisir le mouvement animal. (Emerson : « La nature est en mouvement perpétuel, elle ne reste jamais immobile »). Plusieurs de ces clichés ont été récemment publiés dans le numéro « Animalia » de Granta, revue littéraire britannique de premier plan.
Mon sentiment d’étonnement n’a jamais cessé de croître pendant tout ce temps – même s’il s’est teinté d’effroi devant la menace que représentent les humains pour le vivant. Je suis revenu aux écrits des naturalistes, des philosophes et des biologistes. Ce sont des lectures qui m’ont fasciné. Pourtant, ni la sagesse des grands penseurs ni les images que j’ai créées ne répondront à mes questions premières sur le lien sentimental que j’ai crée avec Sadie ou les mystères de cette « vie » que nous partageons avec d’autres espèces.
Elliot Ross
Elliot Ross est né à Chicago. Son œuvre est représentée à New York par la galerie Alan Klotz, et à Amsterdam par la galerie Schilt Publishing.