Il s’agit du huitième Dialogue de la Collection Ettore Molinario. Un dialogue qui naît du plaisir d’avoir pu se retrouver à Paris Photo et de ressentir à nouveau le pouvoir de la photographie. On juxtapose un portrait de Cecil Beaton, entré dans la collection il y a quelques jours, et un petit chef-d’œuvre d’un auteur anonyme qui attendait son bon partenaire depuis de nombreuses années. Je vous invite à découvrir « un certain quelque chose » qui unit les deux images et à nous suivre lors de nos prochains rendez-vous.
Ettore Molinario
Si nous avions une caméra cinématographique, nous partirions de cette main de madone et de mannequin qui tient une croix d’ivoire et la montre entre ses doigts très fins comme la relique d’un péché joyeux. De la paume levée vers le ciel nous grimpions le long des grains du chapelet, nous caressions le cou de cette fille et ce sourire écarlate qui dépasse sa bouche et promet des merveilles. Même les yeux le disent, dans l’obscurité du mascara qui ne laisse briller que l’étoile bleue de l’iris : « entrez dans le jeu ». Et l’autre main le dit aussi alors qu’elle descend à terre, vers ses passions, et se repose avec assurance sur une peau de tigre. Si nous avions une caméra, nous demanderions à Cecil Beaton de continuer le film, de rejouer et de marcher vers nous, en se faufilant dans la féminité extrêmement raffinée et cruelle qui l’habite.
C’est ainsi que le grand photographe est apparu à la fête d’anniversaire d’Elsa Maxwell à Paris en 1930. Après tout, comment aurait-il pu célébrer le pouvoir de l’un des stylos les plus venimeux et à deux pointes du journalisme de l’époque ? Comment flatter cette femme qui aimait les femmes et décidait du sort de quiconque aspirait au succès ? En cadeau à Maxwell, Beaton avait offert une autre femme, la mère de toutes les femelles fortes, le tigre et la dame de bon ton, et avait donc porté les vêtements d’Elinor Glyn, écrivaine, scénariste, productrice et réalisatrice anglaise, si confiante de soi de reconnaître et de rejeter le talent des autres. Et les autres étaient Rodolfo Valentino, Gloria Swanson, Clara Bow, tous heureux possesseurs d’«un certain quelque chose», ou simplement «ça» comme Glyn l’appelait.
Posant en travesti devant l’objectif de George Hoyningen-Huene, Cecil Beaton a déclaré sa version particulière d’«un certain quelque chose», qui rend les gens différents parce qu’ils sont plus forts et plus complets. Et le «ça» de Beaton était le pouvoir de parler aux contraires, au ciel des saints et au pays des tentations, du féminin au masculin et du masculin au féminin, laissant le corps, dans le velours noir qui le garde , les révélez tous les deux. Dans le mystère de son anonymat, un autre photographe était arrivé aux mêmes conclusions radieuses et dans les mêmes années, à Paris, avait joué entre le positif et le négatif, et lui aussi avait vu une main de femme surgir à travers les fines rayures d’un mouchoir d’homme.
Ettore Molinario