Une molécule a dit oui à une autre et la vie est née.
Depuis qu’une très grande partie de ses plus de 100 000 clichés photographiques a été dévoilée en 2007, le public s’est pris d’enthousiasme pour les « deux vies » de Vivian Maier (1926-2009), pour le « mystère » et la « solitude » de cette femme, nourrice et artiste inconnue qui avait – oh mon dieu – un talent rare pour la photographie de rue. La pétulante Maier était sans doute – je le dis avec respect – « inapte à la vie », comme le personnage complexe de Macabéa dans le court roman de Clarice Lispector,L’Heure de l’étoile (1977). Miss Maier était loufoque en apparence, mais libre à l’intérieur.
Pour comprendre la nature de son activité photographique secrète et pourquoi elle avait choisi de garder son oeuvre privée, nous devons nous pencher sur la définition du terme « soliloque » : forme littéraire ou théâtrale de discours dans laquelle un personnage se parle à lui-même ou révèle ses pensées lorsqu’il est seul ou qu’il ignore la présence d’autres personnages. On pourrait aussi dire que beaucoup des portraits qu’elle a pris des autres, de gens qu’elle ne connaissait pas, mais auxquels elle était sans doute liée, étaient d’une façon ou d’une autre les représentations ou les reflets du regard qu’elle portait sur elle-même.
« Les gens ne sourient jamais, ils sont eux-mêmes, ils lui livrent leur âme. Je crois que les gens de la vie de tous les jours se sont abandonnés à ses photos, à ce truc qu’elle avait, » explique à The Stockholm Review Anne Morin, directrice de Di Chroma Photography à Madrid et commissaire de l’exposition « Vivian Maier in Her Own Hands » (« Vivian Maier dans ses propres mains ») au Kulturhuset de Stockholm. « Même dans les photos qu’elle a prises en France à la fin des années 1940, tout est là. Ce sont les mêmes portraits, exactement le même cadrage. C’est étonnant : elle avait déjà clairement défini la spécificité de la photographie. »
« Vivian Maier est un cas extrême de découverte posthume d’un artiste », écrit Geoff Dyer dans Vivian Maier, Street Photographer. « Son histoire renvoie aussi au potentiel inconnaissable de chaque être humain. » Elle avait 81 ans et vivait dans un bel endroit de Rogers Park à Chicago – c’était son premier logement personnel, payé par deux des garçons qu’elle avait élevés – quand les traces de pas ont commencé à encercler sa pièce la plus secrète, l’espace où elle stockait toutes ses photos. Maier a été son propre juge tout au long de sa vie… jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus honorer les paiements du box de stockage de ses centaines de boîtes, qui sont alors tombées aux mains d’acheteurs anonymes qui n’avaient pas conscience de ce qu’ils acquéraient. Le livre cité plus haut a été préfacé par John Maloof, qui a acheté sa part initiale de l’œuvre de Maier pour 380 dollars : « La suite d’évènements que cette découverte a entraînée a mis sens dessus dessous le monde de la photographie de rue, et ma vie. »
C’est tout un monde qui s’offre à nous dans les photos de Maier, même si elle photographiait presque exclusivement les villes de Chicago et de New York et leurs habitants, parfois huppés, mais le plus souvent miséreux. « Je suis le premier à célébrer la qualité de son œuvre », déclare le photographe de rue Joel Meyerowitz dans Le Mystère Vivian Maier (BBC, 2013), l’un des deux documentaires visibles dans le cadre de l’exposition depuis les bancs publics du Kulturhuset. Meyerowitz y apparaît soucieux « parce que nous ne voyons que ce que ceux qui ont acheté les valises ont sélectionné, mais quels genres d’éditeurs sont-ils ? Qu’aurait-elle choisi de montrer de son travail et quels négatifs aurait-elle développés ? Comment pouvons-nous savoir qui était la vraie Vivian Maier ? »
EXPOSITION EN COURS ET À VENIR
In Her Own Hands
Vivian Maier
Du 7 juin au 10 septembre 2006
Fundación Foto Colectania
Carrer de Julián Romea, 6
08006 Barcelone
Espagne
http://www.colectania.es
Street Photographer
Vivian Maier
Du 9 juin au 16 août 2016
Fundación Canal
Calle de Mateo Inurria, 2
28036 Madrid
Espagne
http://www.fundacioncanal.com
EXPOSITION PASSEE
In Her Own Hands
Vivian Maier
Kulturhuset in Stockholm
Sergels torg, 111 57 Stockholm
Suède
http://thestockholmreview.blogspot.fr/2016/05/miss-maier.html