Il y a 51 ans le photographe Erich Hartmann concevait et réalisait son exposition « Our Daily Bread » au Coliseum à New York. Dans ce lieu gigantesque d‘exposition et de conférences, en plein cœur de Manhattan à Colombus circle, le photographe fit monter plus de 100 photographies sur des panneaux de plus d‘un mètre de haut et de large. L’exposition était une commande de l’entreprise Pillsbury Mills qui voulait présenter le projet lors d’une conférence internationale sur les denrées alimentaires.
L’exposition fut un franc succès et voyageât dans plusieurs villes américaines.
Ce projet fut à l’origine une commande « classique » de photojournalisme. Hartmann devait au fil des années constamment rééditer jusqu’à concevoir un poème-images, une ode lyrique à tous ceux qui produisent et fournissent notre pain quotidien. De l’exposition initiale il ne reste plus rien. Les tirages d’exposition partirent en fumée lors d’un incendie dans un lieu de stockage dans l’état du Minnesota. Le coliseum à New York fut démoli en 2000. Les tirages faits par Hartmann ou sous sa supervision, les négatifs et la mémoire vivace de sa femme, auteur des textes d’ »Our Daily Bread » sont les traces du travail colossal de plus de huit années produit par Erich Hartmann.
Lorsqu’il fut décidé d’éditer pour la première fois «Our Daily Bread», l’idée d’une exposition accompagnant le livre (Editions Kehrer) n’était qu’une gageure, un pari un peu risqué mais qu’il fallait au moins tenter. Outre la question du financement ce qui me préoccupait était le lieu à choisir et la forme que devait prendre une réédition d’une telle exposition.
L’exigence sans failles avec laquelle Hartmann, pendant les 47 années de sa carrière photographique, a accompli son travail au sein de l’agence Magnum ainsi que dans tous ses choix photographiques personnels, force le respect et invite à la prudence. Montrer «Our Daily Bread» dans un lieu sans rapport aucun, sans lien avec l’esprit de l’œuvre ne pouvait être qu’une erreur. Il fallait donc trouver ou peut être imaginer un lieu assez ouvert pour que la puissance et l’expressivité des photographies noires et blanches reçoivent la place qui leur est due.
Est-ce le hasard ou peut-être le bon génie de la photographie qui, l’été dernier, m’a fait rencontrer Beatrice Schmidt ? Schmidt s’occupe de l’organisation des événements pour le Französischer Dom de Berlin. Ceux qui passent par la capitale allemande et veulent admirer l’horizon et le ciel au dessus de la métropole gravissent les presque 300 marches qui mènent aux cloches et aux carillons de la ville. La montée dans le cœur de la coupole offre une vue magnifique sur la place du Gendarmenmarkt. Un système ingénieux de cimaises a été créé pour que dans le cône de lumière qui va de la coupole au sol des œuvres puissent être accrochées. Elles semblent flotter dans l’air.
Le lieu intrigue: C’est un endroit certes inhabituel pour une exposition mais très évocateur. Au centre de Berlin le présent et le futur ne sont jamais très éloignés d’un passé violent et dévastateur. Pour le photographe juif Erich Hartmann, né à Munich en 1922 et qui devait fuir avec ses parents l’Allemagne nazie en 1938 l’image et la parole se sont toujours humanistes et soulignent ce qui relie les hommes entre eux et ce qui est universel. Hartmann aimait à répéter combien les êtres humains sont reliés d’une interdépendance toujours plus étroite et qui devrait être au centre de leurs préoccupations comme de celles de l’artiste.
Il faut donc gravir les marches pour voir ces images tirées depuis des tirages vintage d’origine. Elles portent ces photographies re-tirées pour l’occasion les marques du temps. Mais surtout elles montrent l’excellence de l’image, le regard du photographe porté sur son objet, ce regard d’une acuité parfaite et qui invite celui qui regarde à voir d’abord ce qu’Hartmann considère comme le plus important: La tache de lumière dans laquelle gisent les miches de pain jetées dans les rues de New York et bientôt écrasées par les voitures qui passent. Les mains magnifiées dans l’effort demandé par la pate à lever. Ces deux femmes, debout devant une table pauvrement dressée mais avec le pain royal en son centre. Le blé vu de si près qu’il en devient une chose abstraite. N’était-ce pas cela aussi que voulait montrer Hartmann? Ce qui est si quotidien, si banal, si nécessaire à la survie a une force au delà du commun.
Ainsi l’exposition proposée n’est pas une réédition,«a remake» de l’exposition de 1962. C’est une invitation à entrer dans l’œuvre d’un très grand photographe, lié intimement à ses prochains.
Anna-Patricia Kahn
Galerie °CLAIR
Saint-Paul-de-Vence / Munich
Our Daily Bread
Erich Hartmann
Du 28 novembre 2013 au 28 février 2014
Französischer Dom am Gendarmenmarkt
Berlin-Mitte
Allemagne
http://www.clair.me