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Entretien avec Laurent Millet

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Le photographe et plasticien Laurent Millet est né en 1968. Il vit à La Rochelle et enseigne aux Beaux-Arts d’Angers. Il présente à la fois une exposition à la Galerie Particulière à Paris, une rétrospective au Musée des Beaux-Arts d’Angers et un catalogue aux éditions Filigranes. Entretien à la Galerie Particulière avant le vernissage.


Anne-Claire Meffre : Comment vous est venu cette envie de construire pour ensuite photographier ?
Laurent Millet : Le fait de construire des objets vient d’un désir de m’inscrire personnellement dans le paysage ou dans un espace donné. Ça me permet d’exister plus intensément, de me donner une raison d’être là. À mes débuts, j’ai lu La poétique de l’espace, de Gaston Bachelard. Il y parle de la notion de refuge. Je sentais ce besoin de me réfugier dans quelque chose qui était confortant et rassurant dans ma pratique. C’est cette idée qui m’a amené vers ce que je faisais quand j’étais enfant, à la campagne, le jeu avec les pierres, le bois. J’ai retrouvé ce plaisir-là, mais avec ma culture d’adulte, ma formation professionnelle, mon goût pour la photographie. Dès mes premières constructions, les machines de pêche, j’ai senti qu’un monde s’ouvrait dans lequel j’allais vraiment pouvoir exister. Ces objets sont alimentés par mes fictions personnelles, mon rêve d’une autre vie. L’image atteste de cela, c’est une trace de ce moment, une rétribution. Par exemple, pour une série qui s’appelle La Zone de balancement (2013), j’ai photographié des blocs noirs posés dans la vase, et j’ai fait des tirages d’après des ambrotypes. Une technique lourde à gérer parce que je devais travailler sur place : j’ai construit la sculpture, installé un laboratoire dans ma voiture… La photographie concentre toutes ces étapes d’élaboration, elle fixe une rencontre, un travail dans un espace, qu’il soit naturel ou architectural. Elle donne aussi un cadre précis, idéalisé : lorsque je conçois un objet, j’anticipe ce que sera la photo. Il y a des parties que je néglige parce qu’on ne les verra pas.

A.-C. M : Comment votre pratique a t-elle évolué ?
L. M :
Au fil du temps, deux grandes familles se sont dégagées. L’une regroupe le travail dans les espaces naturels. Je crée des objets, comme les Petites Machines Littorales (1997) ou Les Cabanes (2000), qui ont des liens avec la chasse, la pêche, avec toute une vie rêvée d’activité dans la nature. J’utilise le paysage pour sa capacité à devenir presque neutre et vertical, comme une page sur laquelle la structure va pouvoir être lue. L’autre grande famille, ce sont ces expériences que je mène dans des espaces clos, souvent blancs, dans lesquels de petits objets deviennent une sorte d’improvisation dessinée ou, avec la série Translucent Mould of Me (2013), des autoportraits qui font basculer cet espace architectural dans un autre espace un peu indécis, presque plan. Lorsque je suis dans l’image, comme c’est le cas pour cette série, mon travail acquiert une dimension qui tient encore davantage de l’ordre de la performance. 

A.-C. M : Votre travail est truffé de références plus moins explicites. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos inspirations ?
L. M :
Elles me viennent de lectures, de références artistiques, de mes propres observations, c’est un dosage. Dans le cas des Derniers jours d’Emmanuel Kant (2009), j’ai lu le livre alors que j’étais déjà en train de faire les images. Il m’a juste permis de mettre des mots sur une attitude. Je m’y suis reconnu. Il m’a conforté dans ma façon de travailler.

Pour Somnium (2014),  je me suis inspiré de Wenzel Jamnitzer, un orfèvre du XVIe siècle qui a dépeint des polyèdres dans un ouvrage merveilleux, entre les mathématiques et la géométrie. J’ai repris cette idée, mais je mets en scène un personnage qui observe ces formes. La série rappelle aussi l’iconographie de l’image scientifique du XIXe et les mazzochios d’Ucello. Son titre, Somnium, est celui d’un livre de Kepler, le premier roman de science-fiction, dans lequel il raconte un voyage dans la lune et qui mélange la mécanique céleste, les sciences et la magie.

Translucent Mould of Me est le début d’un vers de Walt Whitman : « Translucent mould of me it shall be you. » A mesure que la série avançait, je pensais à des autoportraits des années 70 de Claudio Parmiggiani, qui ne sont que des ombres. Cela me plaisait de ne devenir qu’une silhouette, un corps qui oscille entre son ombre et sa réalité. Et, je ne les cite pas forcément, mais c’est difficile de ne pas voir dans cette série l’influence de Francesca Woodman ou Ralph Eugene Meatyard, qui est un photographe immense.

Je me suis tellement construit sur des références photographiques fondatrices, que, paradoxalement, ce ne sont pas elles qui me reviennent immédiatement quand je travaille. Mais ça arrive. Nuées (2008), par exemple — une série sur des nuages encadrés par une boîte transparente —, est inspirée des images de Kenneth Josephson, ce photographe de Chicago qui, dans les années 70, tient des cartes postales dans des paysages, des images de bateau au dessus de la mer, etc. On y retrouve également Magritte : les nuages, le ciel, le cadre dans le nuage, l’image dans l’image… Le titre Nuées évoque une histoire incroyable du Livre des nombres, dans l’Ancien Testament : le peuple juif plante la tente de la rencontre sous la nuée dans laquelle est Dieu. La tente et toute la tribu suivent la nuée. Je trouve merveilleux ce lien entre l’habitat et le déplacement, le fait de s’asservir à Dieu ou en tous cas à sa manifestation. C’est très important pour moi de lier ce que je fais à ces récits anciens.

Dans le catalogue, chaque série d’images est mise en rapport avec des citations qui émanent de mes lectures. Par exemple, la série de L’Herbier (2011) — des dessins de plantes qui poussent à partir de mon corps —, est illustrée par une citation de Boccace que j’avais en tête lorsque je travaillais. Installer mon travail en relation avec des textes qui viennent de la Renaissance, ou d’autres époques, est une façon de l’amplifier, de lui donner des racines.
 

A.-C. M : L’exposition aux Beaux-Arts d’Angers est la première rétrospective de votre travail…
L. M :
Angers est une rétrospective non exhaustive. Pour moi, c’était important qu’il y ait une forme de ligne qui soit lisible, c’est dans ce sens que nous avons sélectionné les images. Au détour de cette exposition, j’ai l’impression de toucher quelque chose que je n’avais pas expérimenté jusqu’à présent : voir ces images exister physiquement ensemble, dans l’espace et dans le catalogue qui est vraiment rétrospectif. Cela me donne le sentiment d’avoir atteint un objectif, d’avoir construit le monde dans lequel j’avais envie de vivre. C’est troublant. Le désir d’une existence rêvée ou supplémentaire, devenu très tangible à Angers, s’en trouve comblé. 


http://www.laurent-millet.com
 

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