« Qu’ont vécu mes parents quand ils avaient l’âge de mon fils ? Comment sont-ils devenus qui ils sont ? » Ce sont là les questions que la photographe allemande Frederike Helwig se pose dans son ouvrage intitulé Kriegskinder.
Nés à la fin des années 1930 et au début des années 1940, ils ont grandi pendant la Seconde Guerre mondiale et sont désormais octogénaires. Ils reviennent ici sur leur passé – certains pour la première fois de leur vie – pour évoquer ce qui les a marqués : les bombes, la fuite, la peur, la faim, la maladie, les pères absents, les mères bouleversées et le silence qui a suivi, à l’époque où l’on estimait que les souvenirs et les conséquences intergénérationnelles de la guerre devaient être enfouis.
Ils sont nombreux à se souvenir encore de l’attente dans les bunkers pendant les attaques aériennes, des bombardements, de la crainte des adultes, des cadavres et des blessés, des pendaisons et des suicides, des maisons bombardées, des jeux dans les décombres. Ils gardent en tête des images claires ou diffuses de leur fuite et de « l’ennemi russe ». Ils ressentent encore la faim, et sur leur langue le goût du chocolat que leur avait offert un soldat américain.
Ils restent révoltés par la soupe à l’ortie trop liquide au goût de pierre, et évoquent encore leurs symptômes de malnutrition. Certains ont toujours en tête les prisonniers libérés des camps de concentration, qui apparaissaient soudain sur le seul de la porte pour demander du pain ou le logis, et qui se retrouvaient chassés par des gestes timides et des mots brusques.
Les gens que l’on retrouve dans cette série ont eu le courage de raconter leur histoire face à l’objectif. Leurs souvenirs sont pour la plupart anecdotiques, et présentent divers degrés d’introspection. Le fait qu’ils abordent rarement leurs traumatismes ou les effets intergénérationnels de la guerre reflète le silence encore de mise aujourd’hui. Les lecteurs sont ainsi invités à lire entre les lignes et à réfléchir à leurs propres histoires de famille, pour analyser le pire chapitre de l’histoire allemande.
« Il s’agit ici de parler les uns avec les autres, de comprendre les conséquences destructrices des systèmes fascistes, du racisme, de la haine et de la guerre, et non d’accuser ou de juger », écrit l’auteure Alexandra Senfft dans sa préface à l’ouvrage de Frederike Helwig et Anne Waak. Le livre, qui comporte quarante-cinq portraits argentiques d’une génération dont les souvenirs seront bientôt amenés à disparaître, juxtapose les souvenirs d’enfance et les portraits des témoins de l’époque, offrant une vision complexe des différentes générations qui ont vécu l’époque nazie.
Frederike Helwig, Kriegskinder
Publié par Hatje Cantz
35€