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En prison, avec Sébastien Van Malleghem

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« J’ai regardé droit tant que j’ai pu ». Fasciné par l’enfermement et la privation de liberté, le jeune photographe bruxellois s’est immergé dans l’univers carcéral belge pendant 3 ans. Ses images démontrent la difficulté de l’homme à gérer et contenir ce qui sort de la norme. Il offre une dignité à ces femmes et à ces hommes enfermés avec leurs propres démons dans un univers brut, fait d’angles droits et de tensions. A hauteur d’homme, son regard, tendre presque malgré lui, nous montre la boîte dans la boîte.
Récompensé par le prix Lucas Dolega, son reportage, autofinancé, est largement publié dans la presse. Pour la sortie de son livre, prévue au Festival des Rencontres d’Arles début juillet 2015, il fait appel au crowdfunding pour financer une partie des coûts de production.

4 ans avec la Police, 3 ans en Prison. Tu as quelque chose à régler là ?
Rien à régler, mais j’ai choisi de photographier des sujets qui me touchent. Quand j’étais à Berlin (en résidence d’artiste) je me suis retrouvé seul dans les rues sans sujet préparé, car je revenais tout droit de Norvège et d’un long séjour à l’hôpital en Belgique. Je sortais la nuit dans la rue, photographier ce qu’il s’y passait. Je parlais aux prostituées, aux SDF, aux junkies etc. Ces gens me touchent, c’est plus fort que moi, mes pieds et ma tête m’y guident d’instinct. J’aime les sujets sensibles, tabous. La police et les prisons en font partie…

Comptes-tu poursuivre en suivant par exemple un détenu que tu as rencontré et qui serait libéré ?
« Prisons » s’inscrit dans une trilogie sur la justice et la manière dont on l’applique aujourd’hui en Europe. La troisième partie pourrait croiser ta question, dans le sens où je retourne dans la rue, mais de l’autre côté du spectre en photographiant les hors-la-loi. 
Quasiment toutes les personnes avec qui je suis en contact pour le moment ont fait de la prison, et en sont sortis…

Tu es resté 3 jours en prison. En quoi cela t’a-t-il marqué ?
L’oppression. L’enferment te donne envie de repousser les murs. Tu es à l’étroit. Dans une cellule tu entends tout ce qui se passe de l’autre côté de la porte, mais tu ne vois rien. Tu ne peux pas ouvrir ta fenêtre, et dans cette prison « Moderne » tu pouvais à peine voir à travers (la fenêtre). Après 20 minutes, enfermé, j’ai surpris mon cerveau qui commençait à cogiter à une évasion. Je crois que c’est humain, normal de vouloir s’échapper quand on t’enferme. Je comprends, maintenant, quand on me dit que des détenus sont ultraviolents. 
8 mètres carrés avec des murs gris où tu passes des heures, des jours, des années, c’est à la limite du soutenable. C’est ce que je fais comprendre dans le livre : j’attire l’attention sur l’incarcération et son visage : la réalité de l’enfermement. Indéniablement, le crime fait partie de cette réalité, mais je gardais une distance vis-à-vis de ça.

Qu’as-tu appris de ces hommes privés de liberté ? Qu’est-ce qui t’a le plus touché ?
La façon dont l’esprit peut aider à tenir le coup. J’ai vu ceux qui se battaient pour garder un minimum de rythme, d’autres qui plongeaient dans la drogue et les jeux vidéo. La lenteur, l’opacité et le manque d’intérêt de l’administration m’ont révolté.

As-tu constaté une différence de comportement chez les détenu(e)s hommes/femmes ?
Quasiment pas, en prison c’est sociologique. Les détenus se regroupent ou sont regroupés par nationalité, religions, type de crimes etc. Mais pas de différence majeures. Sans doute plus de douceur chez les femmes qui s’associent à un sentiment de férocité beaucoup plus fort.

L’un est gardien. L’autre criminel. Qu’as-tu senti de différent chez l’un ou l’autre ?
L’un vient travailler pendant des années au même endroit, a majoritairement choisi ce métier par sécurité pour l’emploi et fait ce qu’il doit faire. L’autre a eu une vie,  a commis un délit et est enfermé. Le contraste est assez élevé si on compare les deux…

La prison c’est ce qu’on a trouvé de mieux pour corriger les criminels ou pour protéger la société ?
Pour « protéger » la société : durant le temps de la détention.

Tu as dû gagner la confiance des détenus pour arriver à faire ces portraits, frondeurs, presque fiers. Pas de craquage ou d’effondrements ?
Il y a beaucoup d’effondrements… les cris sont là, les larmes aussi. Le manque familial. Les effondrements et la rage sont le plus souvent des excès de frustration.

Dans ton reportage : ‘Ils sont privés de dignité, et doivent exister de force pour survivre.’ C’est quoi leur moteur ?
La famille, souvent. Eux-mêmes quand ils ont compris ce qu’ils faisaient là.

« Quand t’es en prison, t’existes plus ». As-tu perçu ce sentiment d’appartenance, des liens très forts qui se nouent, les clans ?
Non, c’est bien moins évident que ça en prison. Ce ne sont pas des clans, mais des regroupements sociologiques, ce que n’importe qui ferait dans la même situation. Les latinos vont avec les latinos, les blancs sont avec les blancs etc. Principalement pour se sentir en sécurité dans ce milieu hostile, l’humanité fait ça depuis la nuit des temps. Mais cette phrase, met en exergue le lien qu’ils ont avec l’extérieur : quasiment aucun. Privé de liberté c’est une chose, privé de contact avec ses proches, c’en est une autre…
Du coup, Il y a une hiérarchie en prison,  les détenus entre eux ont leurs propres codes de conduite…

Ton intention est-elle de démontrer quelque chose sur le système carcéral, belge en particulier ?
Non, je montre les prisons et leur fonctionnement au cœur de l’Europe au XXIème siècle. Certaines datent de 1860… Ce système carcéral, ce schéma, existe à peu près partout. Cette manière de « punir » n’a pas évolué depuis des siècles en Europe. Et si elle l’a fait, c’est principalement dans le châtiment: qui devient de plus en plus sournois.

La prison c’est une autre forme de violence pour toi ?

Oui. Principalement psychologique.

As-tu une idée de ce qui pourrait exister de mieux ?
Il y a en Scandinavie des prisons qui ressemblent plutôt à des villages, entourés de murs ou de grillages mais où les détenus ont plus d’autonomie, peuvent se déplacer librement à l’intérieur, et doivent se motiver eux-mêmes tous les jours. Cela fonctionne bien, le taux de récidive est quasiment nul.


As-tu pu approcher la vie autour du détenu : famille, avocats, bénévoles, accompagnateurs ou psys ?
Non, je me suis concentré sur la vie intra-carcérale. Mais j’ai eu des échanges avec des bénévoles, des éducateurs, directeurs de prisons, gardiens et psychologues, oui.

Y a-t-il plus d’humanité dans les prisons modernes ?
Moins, c’est aseptisé. Cela a beau être moderne, beaucoup de détenus soulignent le côté froid et clinique, le manque de chaleur humaine.

De boîte (prison) en boîte (cellule), dis-tu. Ton sentiment est qu’on en ressort plus fêlé qu’on y entre ?
Certainement. Les liens avec la famille sont quasiment brisés, il y en a mais ils sont limités, l’assistance psychologique est extrêmement faible pour les détenus « normaux », alors qu’ils devraient être accompagnés bien plus solidement si on ne veut pas qu’ils récidivent. De ce fait, les détenus gardent leurs erreurs en tête et ne peuvent les comprendre et les corriger, on les case dans des cellules avec leur nom et leur régime alimentaire sur la porte. A l’intérieur : une télé, un lit, une armoire. Le droit de « cantiner » (possibilité d’acheter ta nourriture en extra, cigarettes etc…) sauf que ça coûte bien plus cher pour eux que pour nous. Si tu dois t’adresser à la prison pour une requête, cela se fait par courrier… Le pouvoir de l’argent est décuplé, et la gestion du temps dépend de l’organisation de la prison… souvent les détenus peuvent être jusqu’à trois dans la même cellule (8 mètres carrés), avec un rideau (dans la cellule toujours) pour cacher les toilettes…

Ce livre c’est ton regard, ta liberté aussi. Pas de neutralité ?
Un travail photographique n’est jamais neutre. Le livre révèle une réalité, celle que j’ai vue durant trois ans, à travers une sélection d’une centaine d’images, et de témoignages.

Ton constat semble assez noir. Une note positive quand même ?
La liberté de la presse. On m’a laissé photographier les prisons alors que cela devient de plus en plus rare de laisser des photographes rentrer dans des organisations étatiques pour témoigner en Europe. La Belgique est assez respectueuse de notre métier et c’est une bonne chose.

Qu’est-ce que tu aimes le plus dans ton métier ? Avant, pendant, après, le suivant ?
Photographier.

Qu’est-ce qui fait pour toi UNE image réussie ?
Une image sincère.

Le livre que tu emmènes dans le Nord ?
« Mort de Bunny Munro » de Nick Cave.

Privé de photo, tu ferais quoi de ton temps ?
De la vidéo.

Kisskissbank t’aide à trouver les fonds manquants à l’éditeur. Est-ce que tu crois que ce corporatisme va favoriser les initiatives et que l’on verra plus d’ouvrages magnifiques qu’avant ?
Ce qui est génial avec un crowdfunding c’est que cela te permet d’être directement en lien avec les personnes qui éprouvent de l’intérêt pour ton sujet. Cela brise la distance du photographe qui sort son livre et n’en parle pas avant. Faire un crowdfunding c’est un gros challenge, et beaucoup de stress. Mais c’est aussi énormément d’encouragements et de motivation.  J’espère que cela continuera d’amener des initiatives intéressantes, le signe positif c’est que cela fonctionne quand c’est bien fait.

http://www.sebastienvanmalleghem.eu

LIVRE
« Prisons »
Editions André Frère.
208 pages.
Pour participer au financement de l’ouvrage :
http://www.kisskissbankbank.com

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