Le livre intitulé Susan Meiselas, En première ligne, récemment publié par l’éditeur Xavier Barral et offre un éclairage intime de l’œuvre de l’Américaine. Au-delà de sa valeur rétrospective – il retrace dans un ordre quasi-chronologique la majorité de ses reportages -, l’ouvrage se lit comme un mémoire, écrit à la première personne par la photographe elle-même. On y comprend son rapport à la photographie, intrinsèquement lié à son rapport aux gens et à la politique, depuis ses révélations des limites de son médium, jusqu’à la réalité des médias. « L’expérience n’est pas l’image », écrit-elle, avant d’évoquer « le sentiment de culpabilité que l’on éprouve à photographier des scènes de terreur pour les transformer en simples spectacles », et plus déchirant encore, le fait d’avoir pris « conscience qu’une photo pouvait tuer ». Et ce, depuis son expérience au Nicaragua, quand elle part partager la révolution davantage que la documenter en quelques jours. Elle y arrive bien avant le renversement de 1979, quand la presse américaine commence à s’y intéresser, imposant aux journalistes un rythme dont Meiselas se sent exclue – intruse auprès des guérilleros, intruse au milieu des journalistes professionnels, dit-elle. « Ils [i.e. les journalistes internationaux] débarquaient, prenaient ce dont ils avaient besoin, suivant à la lettre un programme préétabli. Pour ma part je restais fidèle à une approche documentaire en me tenant au plus près des événements au fur et à mesure de leur déroulement pour tenter de saisir leur dynamique. »
Le titre de l’ouvrage, En première ligne, se révèle au long de l’ouvrage dans son sens le moins littéral, jusqu’à la conclusion de Meiselas, en dernière page : « La ligne de front n’est pas qu’un simple espace géographique […] Le photographe qui pratique une photographie documentaire a la possibilité de franchir cette ligne et de montrer que la zone de conflit ne se limite pas à un champ de bataille dans un lointain pays : elle se situe aussi chez nous, on se l’inflige à nous-mêmes, elle loge dans notre tête. » Elle en parle à propos de sa série sur le sadomasochisme, mais cette ligne éclaire toute son œuvre. C’est aussi celle où elle a failli perdre la vie au Salvador – « Pour la population comme pour moi, la ligne de front était le lieu d’un traumatisme émotionnel permanent », écrit-elle.
Cette première ligne est aussi une métaphore de son engagement avec les autres. Celui qui dès ses débuts, alors qu’elle réalise une série de portraits de ses voisins pour son projet d’étude, la pousse à inclure leurs voix. Celui qui la mène à El Mozote, au Salvador, pour en rapporter les preuves visuelles du massacre qui y avait eu lieu. Celui, encore, qu’elle décrit comme une « urgence de témoigner », d’être « constamment mue par le besoin de comprendre les événements terrifiants de cette époque ». C’est probablement la raison pour laquelle, alors que l’industrie du reportage était ancrée dans le noir et blanc, elle n’a pas hésité à utiliser la couleur, et pourquoi sa pratique est si polymorphe. « Qui suis-je ? […] Une archiviste, une observatrice, une faiseuse d’image ? », se demande-t-elle. Elle est tout cela à la fois, servie par une humanité engagée.
Laurence Cornet
Laurence Cornet est une journaliste spécialisée dans la photographie. Elle est également commissaire indépendante. Elle vit entre New York et Paris.
Susan Meiselas, En première ligne
Publié par Xavier Barral
35€