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En Coulisse : Rencontres d’Arles, la technique

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Huit heures et demie, la journée commence autour d’un café, deux ou trois mots la tête embrumée, les jambes fatiguées, une cigarette vite cramée. Une journée longue, du boulot à la pelle. De mètres de bois à tailler, des mètres de murs à peindre. Toute une exposition à monter. Et la chaleur provençale qui chauffe les entrepôts situés en bordure du centre-ville d’Arles, pas loin des ateliers SNCF. Heureusement, le frais des salles d’expositions protège.

La journée sera longue, les missions nombreuses. En menuiserie, en serrurerie ou bien en peinture, les derniers instants du festival se vivent à toute allure. Il ne faut pas enrayer cette machinerie. Malgré la feuille de route à tenir, les échéances bientôt à terme, notre présence curieuse est tolérée. Un jeune peintre s’exclame « vous faites un papier sur les coulisses ? Ah ! C’est cool de faire ça ! Il s’y passe toujours quelque chose, notre travail est peu mis en avant ! Pour une fois qu’un journaliste fait un papier sur nous ! » Le travail déployé depuis fin avril prendra bientôt fin ; les colonnes des journalistes salueront les artistes.

Remercions une à une les équipes techniques. Le programme fut chargé, il sera bientôt accompli. Olivier Fischer, chef de l’équipe menuiserie le détaille : « On travaille en amont, mi-avril, parmi les premières équipes dans l’organisation du festival. Le travail est intense, surtout dans les dernières semaines. Pendant la semaine d’ouverture, il y a encore de nombreux réglages à faire. Puis une période de pause, jusqu’au démontage des expositions fin septembre ».

Menuiserie et serrurerie se regroupent en un même espace. Un grand hall industriel chapeauté d’une verrière pâlotte, à l’abri des regards dans une ruelle adjacente au centre-ville. On marche sur des embruns de bois et soulève la poussière accumulée des constructions tandis que résonne dans l’air la scie métallique fendant l’acier. L’atelier serrurerie traitant les métaux intimide quelque peu. Derrière leurs masques de protection, les soudeurs dédaignent la danse mirobolante des étincelles. Ils n’ont que faire du feu et nous regardent amusés. À quelques mètres d’eux, trois charpentiers se penchent sur une construction mise à terre d’une quinzaine de mètres, s’appliquent à déchiffrer le plan puis lentement commencent leur découpe. Parfois, les dimensions des structures posent problème. Olivier Fischer souligne avec douceur que « les artistes ne se rendent parfois pas compte de la faisabilité des pièces. La relation avec l’artiste peut être contraignante ! Ils  ne se posent pas toujours la question de la faisabilité… », et de résumer : « une table a quatre pieds, elle ne peut avoir deux pieds… ça ne tiendra pas ! Malgré tout, nous essayons de faire cette table à deux pieds, de la créer, de la rendre possible… »

Les contraintes peuvent aussi être physiques. La chaleur printanière, clémente au mois d’avril, encore douce au mois de mai, disparaît peu à peu avec l’arrivée de l’été. Pour l’équipe en peinture, dirigée par Véronique Ferré, les véritables difficultés tiennent au nombre impressionnant d’espaces à colorer. « Il y a 5 250 m2 à faire cette année, l’équivalent d’un grand lotissement. C’est énorme ! Les murs en cimaise, ceux des ateliers SNCF par exemple, nous prennent énormément de temps. De même que le mobilier ! » Et les surfaces croissent à mesure que le festival s’agrandit : « le chantier des halles SNCF s’est encore agrandi cette année ». En poste depuis une décennie, Véronique Ferré ponctue : « C’est ma treizième année, treizième année toujours aussi heureuse. Le festival a considérablement évolué ! C’est génial ! Et bien que le métier soit dur, je suis très heureuse de le faire ».

Quant au matériel utilisé, il serait illusoire d’en faire la liste. Dans la menuiserie comme en peinture, c’est une liste sans fin de meubles, de bouts de bois, de planches découpées, de longs tuyaux en fer, de briques, d’échelles, de poutres, parmi les plans d’architecture, les crayons, feutres, règles, scies à métaux, scies à bûches électriques, scies circulaires. Mêmes sons de cloche chez les accrocheurs qui jonglent avec les cadres, les affiches, les portants. Et l’on s’échinerait en vain à dénombrer les multiples couleurs appliquées par les peintres, du plus banal blanc éclatant des murs d’expositions, aux fantaisistes jaunes crèmes, oranges acidulés et autres roses saumonés, des bruns sombres et sourds aux gris malades. Et toujours, de longs monochromes, appliqués sur les meubles en ateliers ou sur les cimaises des expositions. Certes, le choix de la peinture, des couleurs sur les murs revient au scénographe, parfois aidé par l’opinion de l’artiste mais le peintre a aussi son mot à dire.

Écologie oblige, « tout le mobilier d’avant est réutilisé : les boutiques, les banques d’accueil, etc. En deux mois, avec une finition exigeante, des caissons recyclés, voire pourris, qui sont là depuis treize ans, nous construisons presque des lotissements ». La réutilisation des espaces construits précédemment, des meubles des éditions passées par exemple, montre un souci d’économie autant qu’un astucieux recyclage.

La peinture est l’une des équipes les plus fournies parmi le service technique des Rencontres. « L’équipe varie. En règle générale, nous sommes vingt peintres s’activant chaque jour ». Cette année, les peintres se sont installés dans un atelier adjacent à celui des menuisiers et serruriers, plus exigu mais non pas moins fourmillant. « Cet atelier de peinture est tout nouveau. Auparavant, nous étions dans l’ancien collège Mistral. L’atelier était dans les petites salles de classes puis dehors. Ensuite, nous fûmes déplacés aux ateliers SNCF. Vous voyez… Nous sommes plutôt itinérants. La menuiserie est installée ici depuis plus longtemps : trois ou quatre ans ». Entre les différentes équipes, l’humeur est plutôt joviale. Le café se partage, les bons mots accompagnent le labeur. Les équipes se connaissent, se répètent d’année en année. Le chef de l’équipe de menuiserie reconnait quant à lui «un noyau central de trois à quatre personnes fidèles depuis les débuts. On essaie de garder une équipe cohérente, sur la longueur, cela marche bien ainsi ! »

La collaboration des différentes équipes techniques est le maître mot de la bonne tenue d’un festival. « C’est un travail d’équipe en équipe », appuie Véronique Ferré. « Tout commence avec la construction ou de la conception (du scénographe), puis le montage, puis les peintres, puis l’équipe de constats des photographies, les accrocheurs, la signalétique, l’électricité (éclairage, lumière), les visuels et enfin la régie (transport). Voilà toute l’équipe technique ! » Les métiers sont si nombreux qu’il faudrait tirer le portrait de chacun d’entre eux. Seulement, à l’approche du festival, le temps leur est compté. Les accrocheurs sont débordés, difficiles à saisir.

Il faudrait pourtant pouvoir tous les énumérer ! Tous ces acteurs, toute cette profusion de métiers à l’œuvre ! Les équipes techniques et leurs individualités ! Il faudrait encore se demander : comment travaillent ces équipes ensemble ? Comment se répartissent les tâches ? Comment se déroulent les accrochages ? Comment s’équilibrent différentes opinions sur la disposition des œuvres ? De nombreuses questions qui suscitent des réponses hasardeuses. Il n’y a pas de réponse générale, seulement une observation en demi-teinte, insuffisante, en deçà de la réalité du travail.

Alors le journaliste se fait minuscule, pousse la porte avec un mélange de curiosité et de timidité, entre à petits pas et espère ne pas trop troubler les travailleurs. Dans la chapelle Saint Martin du Méjan, tenue par les Éditions Actes-Sud, l’exposition Kazuo Ono par Eikoh Hosoe et William Klein se finalise tout juste. Les clichés du photographe franco-américain imprimés sur de longues bandes en toile sont déplacés de murs en murs. Les derniers réglages, les ajustements infimes, pour que dansent et correspondent entre eux trois artistes. Bientôt, la foule se pressera pour admirer le dialogue des images, les similitudes des regards. En sortant, on passera la porte de la Chapelle du Méjan en s’exclamant « Dieu que l’exposition est belle ! » Et c’est là le mérite des coulisses, on s’active, on s’emploie, c’est éreintant, usant, mais les idées prennent vie.

La reconnaissance ? Elle tient en de petites choses. Le contentement du public, les bonnes critiques et réceptions des expositions – d’année en année – mais aussi, à ces moments plus discrets, au cœur du travail, dans les instants les plus critiques sinon fatidiques, lorsque le travail de l’artiste se valorise par des structures, des murs de cimaises, des accrochages, un cadre et une peinture, tous irréprochables.

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